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Une carrière dans la LNH est définie par plusieurs événements. Les joueurs actuels et les anciens chérissent un moment particulier, un match ou encore des exploits plus larges. Au cours de notre série hebdomadaire de huit articles « Savourez chaque moment » présentée par Olymel, huit joueurs vont partager une expérience de hockey qui occupe une place spéciale dans leur cœur. Aujourd'hui, l'ancien attaquant et membre du Temple de la renommée du hockey Phil Esposito revient sur sa saison de 76 buts en 1970-71.

Peu de choses laissaient croire à Phil Esposito qu'il était sur le point de marquer l'histoire. Mais la saison 1970-71 du franc-tireur des Bruins de Boston allait être glorieuse, un festival de records qu'il savoure encore un demi-siècle plus tard.
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« Ç'a été une saison magique pour moi », raconte Esposito aujourd'hui au sujet de ses 76 buts et 76 passes.
Ce fut bel et bien une saison magique, et ce, de plusieurs manières.
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Esposito a amassé 1590 points (717 buts, 873 passes) en 1282 matchs en carrière dans la LNH entre 1963 et 1981 avec les Black Hawks de Chicago, les Bruins et les Rangers de New York. Le natif de Sault Ste. Marie, en Ontario, a inscrit au moins 61 buts à quatre reprises avec les Bruins entre 1970 et 1975.
Il pourrait remplir une pièce de sa maison de trophées. Il a gagné le trophée Maurice-Richard, remis annuellement au meilleur buteur en saison régulière, lors de six saisons consécutives entre 1969-70 et 1974-75. À cinq reprises, son nom a été gravé sur le trophée Art-Ross, remis au meilleur pointeur de la LNH. Il a aussi remporté le trophée Hart à titre de joueur le plus utile à son équipe à deux reprises ainsi que le trophée Lester B. Pearson (aujourd'hui appelé Ted-Lindsay), remis au meilleur joueur de la LNH selon ses pairs, deux fois.
En 1972, Esposito a été le meilleur joueur de son pays dans l'historique Série du siècle, quand les joueurs étoiles du Canada ont vaincu les meilleurs joueurs de l'Union soviétique dans une série de huit rencontres (4-3-1).

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Mais la saison 1970-71 rend encore plus justice à la précision et à la touche de marqueur d'Esposito. Une campagne de 78 parties qui a représenté un record de la LNH pendant 10 saisons, jusqu'à ce que la supervedette des Oilers d'Edmonton Wayne Gretzky surpasse la marque de 152 points d'Esposito en récoltant 164 points en 1980-81. Un an plus tard, Gretzky a pulvérisé le record de 76 buts d'Esposito en trouvant le fond du filet à 92 reprises.
L'un des records d'Esposito de 1970-71 tient toujours. Ses 550 tirs, décochés avec son bâton en bois de frêne Northland Pro, représentent encore un sommet en une saison depuis que cette statistique est officiellement comptabilisée (1959-60). Les 528 lancers décochés par l'attaquant des Capitals de Washington Alex Ovechkin en 2008-09 le placent au deuxième rang.
« Avec la manière dont le hockey se joue aujourd'hui, je ne pense pas que mes 550 tirs vont être battus, a affirmé Esposito. Les joueurs ne tirent plus autant. Il y a une tonne de lancers bloqués, et les bâtons en composite utilisés aujourd'hui se brisent constamment. »
La saison historique d'Esposito est survenue entre deux conquêtes de la Coupe Stanley des Bruins durant cette décennie. Il l'a réussie à sa septième saison complète dans la LNH, sa quatrième à Boston, après avoir amassé 99 points (43 buts, 56 aides) en 1969-70.
« Je ne m'étais pas fixé d'objectifs personnels pour mes chiffres offensifs, a-t-il expliqué. Quand j'ai commencé avec Chicago, quand il y avait six équipes dans la LNH, je voulais inscrire 20 buts par saison, ce qui était l'équivalent de frapper pour ,300 au baseball. J'y suis parvenu dans chacune de mes trois saisons avec Chicago. »
Le 15 mai 1967, une transaction majeure a envoyé Esposito aux Bruins avec les attaquants Ken Hodge et Fred Stanfield en retour de l'attaquant Hubert Martin, du défenseur Gilles Marotte et du gardien Jack Norris. C'est devenu l'une des transactions les plus inégales de l'histoire de la LNH, un vol de grand chemin des Bruins.
« J'avais un objectif différent après avoir été échangé aux Bruins, s'est remémoré Esposito. J'ai dit [au directeur général Milt Schmidt] au téléphone que je voulais avoir un salaire de 12 000$. J'ai presque démissionné pour avoir ce que je demandais. J'ai dit à Milt : "Si tu ne me paies pas 12 000 $, je ne viens pas. Je peux faire autant d'argent à l'aciérie (à Sault Ste. Marie)." Je voulais pouvoir soutenir financièrement mon épouse et ma fille. »

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Schmidt a finalement accepté de le payer 10 500$ avec quelques bonis de performances, comme marquer 30 buts par exemple.
« J'ai répliqué à Milt : "Non, il faut que la prime entre en vigueur à 20 buts", a raconté Esposito. Il m'a répondu : "Tu as déjà marqué 20 buts" et je lui ai dit : "Je m'en fous, je veux que ça commence à 20 buts." »
Esposito a inscrit 35 buts à sa première saison avec les Bruins, empochant environ 17 000$ avec les bonis.
Avec les Black Hawks, Esposito était, de son propre aveu, comme une éponge avec Bobby Hull, « qui m'a appris plus que quiconque sur le hockey et la vie. Bobby me disait : "Tu vois la zone entre le cercle des mises en jeu et le côté du filet? C'est comme un entonnoir. Quand tu es à cet endroit, tu devrais toujours choisir de tirer avant de passer." »

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Esposito a apporté ce conseil à Boston et a fait faire des cauchemars aux gardiens adverses pendant plus de huit saisons, jusqu'à ce qu'il soit échangé aux Rangers avec le défenseur Carol Vadnais en retour de l'attaquant Jean Ratelle et des défenseurs Brad Park et Joe Zanussi le 7 novembre 1975.
« À ma première année à Boston, quand je me suis présenté au camp d'entraînement, Harry Sinden (l'entraîneur) m'a dit sur la glace : "Je vais te jumeler à deux joueurs qui vont te passer la rondelle. Tu vas être notre marqueur. Je veux que tu restes dans l'enclave souvent, en bas des cercles." »
Hodge allait devenir l'ailier droit d'Esposito, tandis que plusieurs ailiers gauches se sont succédé à leurs côtés, jusqu'à l'arrivée de Wayne Cashman.
« Quand Wayne est arrivé, les trois ensemble étions… Wow! », a déclaré Esposito.

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Ils ont établi un record non officiel de points pour un trio : 336 (Esposito : 152; Hodge : 105; Cashman : 79). Ces trois attaquants de puissance ont terrorisé leurs adversaires et ils étaient plus robustes que ce que suggère le guide de la saison 1970-71 de la LNH. Le livre liste Esposito à 195 livres, Hodge à 200 livres et Cashman à 180 livres, ce qui est hilarant selon Esposito.
« Nous nous surnommions "le trio des gros (Fat Line)" », a-t-il lancé à la blague. « Nous étions tous les trois au-dessus de 212 ou 215 livres. "Hodgie" était le plus gros, j'étais deuxième et "Cash" était troisième. Les Rangers avaient Ratelle, Rod Gilbert et Vic Hadfield qui formaient la ligne Goal-A-Game. Tant mieux pour eux. Mais nous, nous battions toutes sortes de records et nous n'avions pas de nom, donc je nous en ai donné un.
« À l'époque, ils ne vérifiaient pas l'indice de masse grasse. Quand je suis arrivé à Boston pour la première fois, j'ai dit à Harry et à Milt : "Ne me parlez pas de mon poids. Faites-le si je joue mal." À Chicago, je devais payer 10$ pour chaque livre au-dessus de 195. Sur chaque paie, on me retirait 30$ ou 40$. C'était difficile pour moi de descendre sous les 200 livres. Je devais me laisser mourir de faim. J'ai tout essayé. J'ai toujours été gros et trapu. Je jouais autour de 218 livres. Je pesais 228 livres en Russie en 1972. »

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Esposito se rappelle que lui et l'imposant défenseur Elmer « Moose » Vasko étaient régulièrement mis à l'amende par les Black Hawks quand ils avaient le malheur de monter sur la balance.
« Une fois, lors du camp d'entraînement, Moose m'a lancé : "Viens avec moi dans le sauna, le jeune, il y aura une pesée", a raconté Esposito. J'y suis allé, et Moose m'attendait avec une caisse de bière. Je lui ai demandé : "Mais qu'est-ce que tu fais là?" Il m'a répondu que ça allait nous aider à nous déshydrater! »
Lors de sa saison record en 1970-71, Esposito a réussi sept de ses 32 tours du chapeau dans la LNH. Il a décoché en moyenne 7,05 tirs par match et inscrit 16 filets vainqueurs. Vingt-quatre de ses buts ont été marqués en avantage numérique.
Cette saison-là, Esposito a décoché au moins 10 lancers à 15 reprises et 13 tirs trois fois. Sa plus longue séquence sans but a été de quatre parties.
« Comment ai-je pu arriver à faire ça? », se demande-t-il aujourd'hui.

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Esposito n'a pas simplement battu le record de la LNH de 58 buts établi par Bobby Hull en 1968-69, il l'a pulvérisé. Ses 59e et 60e filets ont été marqués face aux Kings de Los Angeles le 11 mars 1971.
« C'était mon genre d'y arriver lors d'un match à l'étranger », a-t-il affirmé.
Esposito a battu trois records ce soir-là :
Le plus de buts en une saison.
Ses deux buts et une passe lui ont conféré un total de 128 points, battant son propre record de 126 points établi en 1968-69.
Et enfin, il a battu le record de Jean Béliveau pour le plus de buts - saison régulière et séries éliminatoires de la Coupe Stanley incluses - alors que la légende des Canadiens de Montréal avait touché la cible 59 fois en 1955-56.

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Dans l'ombre d'Esposito, son coéquipier Johnny Bucyk a marqué 51 buts. À l'âge de 35 ans et 308 jours, il est devenu le plus vieux joueur à marquer 50 filets. On en oublie presque aussi que le défenseur Bobby Orr a établi un sommet en carrière de 139 points cette saison-là. Le record de Bucyk a tenu jusqu'à ce qu'Ovechkin inscrive son 50e filet de la saison 2021-22 à l'âge de 36 ans et 215 jours avec les Capitals, mercredi dernier.
La marque de 76 buts d'Esposito a tenu jusqu'à ce que Gretzky la surpasse avec une soirée de cinq points (trois buts, deux passes) contre les Sabres de Buffalo le 24 février 1982. Esposito avait suivi Gretzky lors de quelques matchs pour le voir battre son record.
« Avant le match à Buffalo, j'ai dit à Wayne : "S'il te plait, peux-tu marquer afin que je puisse retourner à la maison?", a-t-il raconté en riant. Bobby Hull me l'avait : les records sont faits pour être battus.

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« Quand Wayne est allé jouer dans les rangs juniors avec les Greyhounds de Sault Ste. Marie en 1977-78 à l'âge de 17 ans, mon père m'a dit qu'il y avait un jeune joueur maigrichon dont le nom de famille était Gretzky qui allait battre tous mes records.
« Lors du premier match que j'ai joué contre Wayne, je me souviens de m'être dit qu'il n'était pas très bon aux mises en jeu parce que j'avais le dessus facilement chaque fois. Mais on pouvait voir qu'il lisait le jeu mieux que quiconque. Il n'était qu'un jeune. Il avait 18 ans? Il était incroyable. Au fil des années, je n'ai jamais vu un autre joueur capable de déterminer ce que tu allais faire avec la rondelle avant même de le savoir toi-même. »
Plus de 50 ans plus tard, Esposito savoure encore les souvenirs de sa saison de 76 buts.
« La saison suivante, j'ai marqué 66 filets, et un journal de Boston a écrit que j'étais en léthargie », a-t-il raconté, en éclatant de rire à nouveau. « Je n'ai plus jamais porté attention à mes statistiques à partir de là, jusqu'à ma retraite. »
Photos: Temple de la renommée du hockey (Frank Prazak; Melchior DiGiacomo); Getty Images; NHL Network; Postes Canada; Dave Stubbs (les frères Esposito)