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Les annonces ont déferlé dès l'ouverture officielle du marché des joueurs autonomes, dimanche à midi. La plupart des gros noms ayant déjà trouvé leur place, on peut déjà souligner quelques bons coups.
Parce que chaque joueur embauché est appelé à remplacer quelqu'un d'autre, il est intéressant de se donner un outil permettant d'évaluer de manière globale leur contribution pour permettre des comparaisons.

Nous avons de la chance. Depuis quelques années, une communauté de chercheurs partage ses découvertes publiquement et contribue ainsi à raffiner notre compréhension de la contribution des joueurs de la LNH.
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Les travaux récents du blogueur Chace McCallum sont sur ce point particulièrement intéressants. McCallum a bâti un indice synthétique donnant un aperçu global de la contribution d'un joueur, en reprenant notamment les travaux de Rob Vollman - à qui on doit les fort pertinents ouvrages Hockey Abstract - Domenic Galamini, aujourd'hui journaliste pour The Athletic, et Emmanuel Perry, le fondateur du site Corsica.Hockey, entre autres.
Appelé Goals above replacement, cet indice exprime la valeur ajoutée d'un joueur par rapport à un substitut. Le substitut en question serait un joueur à peine apte à contribuer dans la LNH. Pensez à un 15e attaquant, ou encore à un huitième défenseur. La valeur ajoutée est ici exprimée en buts, par la synthèse d'une série d'indicateurs portant sur les différentes façons de contribuer aux succès d'une équipe (attaque à cinq contre cinq, discipline, jeu de puissance, et ainsi de suite).
McCallum a résumé sa démarche dans un billet de blogue fort bien écrit
.
Le nœud de cet indice, c'est la notion de valeur ajoutée. Celle-ci s'exprime dans des valeurs qui peuvent surprendre par leur petitesse. Les joueurs les plus performants de la Ligue ont ainsi obtenu depuis quelques années des scores d'environ 20 buts ajoutés par tranche de 82 matchs.
Eric Tulsky nous rappelait il y a quelques années que six buts valent une victoire
, ce qui veut dire qu'une équipe qui réussirait à remplacer un joueur substitut absolument nul (c'est-à-dire qui n'apporte aucun but de valeur ajoutée) par un joueur de 18 buts gagnerait en théorie trois matchs de plus sur la foi de cette seule amélioration.
Dans un sport où le temps de glace est divisé entre 12 attaquants et six défenseurs et où la rondelle n'est en possession d'un joueur que pour quelques secondes, un impact de trois victoires est colossal.
Mais il est rare qu'une équipe fasse ce genre de substitution. McCallum n'a pas que développé ce modèle,
il a rendu accessible un chiffrier
recensant les performances des différents joueurs de la Ligue ayant joué au moins 500 minutes dans une saison au fil des neuf dernières années.
Armés de ces données, nous disposons donc d'un moyen simple et efficace pour déterminer quelles équipes ont particulièrement bien tiré leur épingle du jeu depuis l'ouverture du marché des joueurs autonomes.
On s'en doute, les grands gagnants ont jusqu'ici été les Maple Leafs de Toronto, qui ont réussi un coup fumant en mettant la main sur le joueur de centre John Tavares. Mais les Golden Knights de Vegas, les Blues de St. Louis et les Flyers de Philadelphie ont aussi retenu mon attention.
Le gros lot pour Toronto (et les attentes)
Depuis trois ans, l'indice de McCallum nous révèle que Tavares produit environ 20 buts supplémentaires par tranche de 82 matchs, une performance surpassée par deux joueurs seulement au cours de cette période : les centres Connor McDavid (22 buts) et Patrice Bergeron (21). Les centres Pavel Datsyuk et Sidney Crosby ont eux aussi, comme Tavares, ajouté 19 buts. Vous vous en doutez sûrement en voyant les noms cités, il est excessivement rare qu'un joueur de cette trempe soit disponible.
Pour mieux comprendre à quel point la contribution de Tavares est hors normes, j'ai séparé les attaquants recensés en quatre groupes : les 90 meilleurs contributeurs sont les joueurs de « premier trio », les 120 attaquants suivants forment le deuxième groupe, cette masse de joueurs peuplant les deuxième et troisième trios. Vient ensuite un autre groupe de 90 joueurs de « quatrième trio » et, enfin, les substituts.
Comme vous pouvez le constater dans le graphique ci-dessous, plus on s'éloigne de la tête, plus l'écart rétrécit entre la contribution des uns et des autres.

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C'est d'ailleurs la même chose pour les défenseurs, que j'ai regroupés en trois duos et un groupe de substituts.

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Tavares fait donc partie d'un groupe d'exception. Trente-sept attaquants seulement ont affiché une contribution supérieure à 13 buts par tranche de 82 matchs depuis trois ans, et le futur no 91 des Maple Leafs est au sommet du groupe.
Mais il y a plus. Puisque les centres Nazem Kadri (11 buts ajoutés) et Auston Matthews (16) sont bien enracinés, Tavares se trouve à remplacer le centre Tyler Bozak, qui a tout de même contribué pour pas moins de 10 buts l'an dernier.
Le troisième centre de Toronto, qui produisait au rythme d'un joueur de premier trio, vient d'être remplacé par un marquer d'élite.

Surtout, Tavares est de quatre ans plus jeune que Bozak et a le même âge que Kadri. Sachant que Matthews, qui n'aura 21 ans qu'en septembre, va encore s'améliorer, les Maple Leafs ont entre les mains la meilleure ligne de centre de la Ligue, et ce, probablement pour trois ou quatre ans encore avant que Tavares ou Kadri ne commencent à décliner.
C'est une très large « fenêtre d'opportunité » que Toronto vient de s'ouvrir. Tout ce qui arrive dans la Ville Reine est, sur la planète hockey, magnifié. Mais dans ce cas-ci, le geste, il faut le dire, mérite entièrement toute la publicité qu'il reçoit.
Les Golden Knights se donnent des options
Paul Stastny était l'autre gros joueur de centre disponible. Le natif de Québec (!) aura 33 ans en décembre. On doit donc raisonnablement s'attendre à une certaine régression de sa part. Mais il part de haut, ayant contribué pour une moyenne de 12 buts par tranche de 82 matchs depuis trois ans.
Stratégiquement, le coup est doublement intéressant pour les Golden Knights. Il donne d'abord au directeur général George McPhee une option crédible au cas où les négociations en cours avec l'attaquant William Karlsson deviennent plus compliquées. Si les choses déraillent, McPhee peut l'échanger sans trop déséquilibrer son club.
Si Karlsson signe à Vegas, l'impact de Stastny va être encore plus fort. Sachant qu'Erik Haula (sept buts ajoutés l'an dernier) et Pierre-Edouard Bellemare (4) sont bien en poste, cela signifierait que Cody Eakin serait alors relégué au statut de substitut.

Eakin a l'an dernier ajouté, selon les calculs de McCallum, un total de… 0,4 but! Si Karlsson reste, l'arrivée de Stastny pourrait, s'il ne régresse pas trop vite, avoir un impact similaire à celui de Tavares à Toronto.
De même, l'arrivée du défenseur Nick Holden pourrait avoir un impact significatif. Avec une moyenne de cinq buts ajoutés depuis trois ans, Holden, âgé de 31 ans, glisse tranquillement vers la frontière qui sépare les défenseurs de deuxième et de troisième duos. Mais encore ici, le gain à espérer est non négligeable parce que Holden, un droitier, pourrait repousser Deryk Engelland (1 but ajouté) vers la périphérie de l'alignement et donner à Shea Theodore (6 buts ajoutés l'an dernier) un partenaire plus dynamique.
Seule ombre au tableau : la signature de Ryan Reaves. Adoré des partisans et de bien des observateurs, Reaves ne fait pas bonne figure avec l'indice de McCallum. Il indique en effet que Reaves a eu une contribution moyenne de -2,8 buts par tranche de 82 matchs depuis trois ans. Entendre par là que Reaves a fait pire que ce qu'on est en droit d'attendre d'un substitut quelconque rappelé de toute urgence du club-école. Les calculs de McCallum ne disent pas tout et on doit par conséquent accorder le bénéfice du doute à Reaves. Mais à vue de nez, les Golden Knights se sont inutilement encombrés en le ramenant.
Les Blues ne sont pas en reconstruction
L'échange amenant le centre Ryan O'Reilly à St. Louis a fait passer au second plan deux signatures fort intéressantes de la part des Blues. Dans les deux cas, on a manifestement choisi le court terme, ce qui correspond à la décision de sacrifier des espoirs et des choix pour aller chercher O'Reilly.
Tout d'abord, on a embauché Bozak. Si O'Reilly est appelé à prendre la place laissée vacante par Stastny à la date limite des transactions, Bozak, lui, se trouve à prendre celle de troisième centre.
L'an dernier, ce poste a été occupé tour à tour par Vladimir Sobotka (0,1 but ajouté) et Kyle Brodziak (2). Bozak aura bientôt 32 ans et il ne sera pas appuyé d'un ailier de la trempe de James van Riemsdyk. On peut difficilement attendre de lui qu'il continue à contribuer comme il l'a fait au cours des dernières saisons. Mais le gouffre était tel, une fois passés Stastny et Brayden Schenn, qu'il devrait néanmoins apporter un solide coup de piston à l'alignement des Blues.

L'attaquant David Perron (sept buts ajoutés l'an dernier), quant à lui, semble destiné à prendre la place de Patrik Berglund (3). Les données de McCallum, il le souligne lui-même, ne tiennent pas compte de la contribution des joueurs en désavantage numérique. Des joueurs comme Brodziak et Berglund pourraient donc laisser un trou plus grand que ce que les données suggèrent. Mais l'avantage offensif apporté par Brodziak et Perron est bien réel. Mine de rien, les Blues ont réussi à réusiner leur groupe d'attaquants sans avoir à passer par une reconstruction complète.
Van Riemsdyk revient à Philadelphie
J'en parlais la semaine passée, van Riemsdyk appartient selon moi à la catégorie des « canons de verre », ces joueurs au talent offensif réel qu'on doit tenir loin des tâches défensives.
Van Riemsdyk, sur le plan « canon », livre la marchandise : 11 buts ajoutés l'an dernier et une moyenne de 12 depuis trois ans. Ce spécialiste de l'avantage numérique s'amène manifestement pour prendre la place de l'attaquant Wayne Simmonds, dont le jeu s'effrite à vitesse grand V depuis trois ans, sa contribution ayant passé de huit, à trois, puis à deux buts ajoutés.

Sachant qu'il a joué plus de 800 minutes en avantage numérique lors de cette période, c'est pour le moins consternant. Il a encore un an à écouler à son contrat, mais Simmonds semble de plus en plus poussé vers le bas de l'alignement.
La suite demain, avec un survol des équipes ayant connu un 1er juillet plus difficile.