Jonathan Drouin badge Thibault

C'est en écoutant les propos de Phillip Danault, plus tôt cette semaine, sur la pression qu'un Québécois ressent en jouant à Montréal que m'est venue cette question à l'esprit : le temps est-il venu de prendre un temps d'arrêt et de procéder à une petite réflexion sur le lien entre les partisans et les athlètes?

Toute cette histoire a découlé de l'annonce de la pause de Jonathan Drouin pour des raisons personnelles. Sans spéculer sur les raisons de son absence, pas besoin de faire une recherche très exhaustive sur les réseaux sociaux pour voir qu'il était une cible de choix pour les amateurs frustrés du rendement du CH.
À LIRE AUSSI : Dupuis : Patience et gestion des attentes, la clé pour les jeunes | Simon Benoit n'est pas rassasié](https://www.nhl.com/fr/news/ducks-simon-benoit-nest-pas-rassasie/c-324196834)
La relation de proximité est de plus en plus grande entre les joueurs et le public, et c'est une initiative fort louable des organisations sportives, qui le font fondamentalement pour les bonnes raisons. Mais on sait qu'il y a un côté pervers à tout ça - et pas seulement dans les sports, pensez à la politique.
Ça ouvre la porte aux dérapages et à ceux qui déversent leur haine sur les joueurs. Tout ce qu'on peut faire, c'est de sensibiliser les gens au fait que ce sont aussi des humains de l'autre côté de l'écran.
Je vais vous le dire en primeur : jamais, dans ma carrière, je n'ai connu un joueur qui amorçait un match avec la volonté de mal jouer et de perdre. Oui, les joueurs ont un devoir d'efforts et c'est tout à fait légitime comme partisan et comme média d'être exigeant envers eux. Mais quand les commentaires vont trop loin et deviennent trop personnels, je crois qu'il y a matière à réflexion.
J'ai toujours cru, et c'est encore le cas, que c'est un privilège extraordinaire pour un Québécois de jouer pour les Canadiens. Je l'ai moi-même vécu, et si je n'avais pas eu cette chance, j'aurais le sentiment d'être passé à côté de quelque chose. Je le souhaite à tous les Québécois, et je le pense sincèrement.
Plusieurs gars ont vécu la meilleure expérience de leur carrière ici - je pense à des Maxim Lapierre, des Steve Bégin et des Francis Bouillon. Pour vivre de belles choses, il faut parfois prendre des risques. Il faut simplement être conscient du genre de bateau dans lequel on s'embarque : il y a beaucoup de privilèges et d'aspects positifs, mais ça vient avec beaucoup de pression et des critiques.
Est-ce plus difficile pour un Québécois que pour un Américain, par exemple, d'évoluer dans le marché de Montréal? À cela, je répondrais que c'est plutôt une question relative au rôle occupé dans l'équipe. Si on s'attend à ce que tu transportes l'équipe offensivement ou que tu arrêtes les rondelles comme gardien no 1, ce sera automatiquement plus difficile.
Pensez au traitement auquel a eu droit Max Pacioretty, à celui qu'obtiennent Carey Price et même Shea Weber, récemment. On ne peut pas dire que c'est complètement à l'opposé de celui qui était réservé à Jonathan Drouin. La différence, c'est que si tu es francophone et que tu occupes un rôle de premier plan, tu es encore davantage exposé aux extrêmes : les débordements d'amour, et aussi ceux de haine.
Je suis passé par là, Pierre Turgeon et Patrice Brisebois aussi. Quand tu occupes un rôle plus limité, les attentes sont plus basses, tu passes un peu plus sous le radar et ta cote d'amour est souvent plus importante.
Définir les limites…
Dans tout ça, il faut savoir où tracer la ligne. Ce n'est pas simple parce qu'elle devient de plus en plus mince avec l'avènement des réseaux sociaux. Les critiques souvent plus respectueuses et justifiées des médias se transforment rapidement en insultes quand elles tombent dans le Far Westnumérique.
C'était déjà difficile de faire abstraction de tout ça à l'époque où les contacts avec les partisans étaient beaucoup moins directs. C'est vrai que certains joueurs ne lisent pas ce qui se dit sur eux ni sur les activités de l'équipe. Sauf que la réalité fait en sorte que leur entourage va être au courant de ce qui se dit à leur sujet et qu'ils vont finir par être mis au courant d'une manière ou d'une autre.
Et soyons honnête, il est assez facile de déceler si ce qu'on raconte sur la qualité de ton jeu est positif ou négatif en prenant la mesure des questions qui te sont posées tous les jours par les journalistes. Cet aspect n'est pas toujours facile à gérer, surtout quand les choses vont moins bien. Ça peut devenir un poids difficile à porter - on a d'ailleurs vu Drouin perdre un peu patience dans les derniers jours.
C'est normal : les gars ne sont pas des robots. C'est comme si un directeur d'usine se faisait poser des questions sur les décisions qu'il a prises à la fin de chaque journée de travail. Vous pouvez imaginer qu'il y a certaines fois où c'est moins tentant de répondre de façon honnête et transparente. J'essayais personnellement de le faire la plupart du temps, mais il m'est arrivé de donner des réponses plates à des questions plates.
Ce qu'on a souvent tendance à oublier dans ce débat, c'est que ce n'est pas un phénomène exclusif à Montréal ou au hockey. On a le nez tellement collé sur l'arbre qu'on ne voit pas la forêt. Je suis un fan des 49ers de San Francisco, dans la NFL, depuis mon enfance et le traitement qui a été réservé au quart-arrière Jimmy Garoppolo cette saison était épouvantable en raison des insuccès de l'équipe. Dire qu'il a amené les siens au Superbowl, l'an dernier!
C'est faux de penser que c'est une promenade dans le parc partout ailleurs. Dans des marchés où un sport est profondément enraciné, la pression est énorme et les critiques sont acerbes. C'est la même chose au baseball chez les Yankees de New York, les Red Sox de Boston et les Dodgers de Los Angeles.
… et gérer les attentes
Dans tout ce cycle qui mène à la pression et aux critiques, ce sont souvent les attentes qu'on place envers une équipe ou envers un joueur qui sont la cause des débordements. Vous comprendrez qu'il est plus difficile de décevoir quand les attentes sont au plancher que lorsque la barre est placée tout juste sous Guy Lafleur.
En ce sens, j'appréhende beaucoup la situation de Cole Caufield. On fait souvent des farces en le décrivant comme un sauveur, mais il y a un engouement beaucoup trop gros autour de ce jeune. Comprenez-moi bien; j'aurais fait le même choix que Marc Bergevin en 2019. Je l'ai beaucoup vu jouer dans les dernières années, et c'est un joueur que j'adore.
Mais j'espère vraiment qu'on va bien l'entourer et que toute cette attention démesurée ne finira pas par l'étouffer. C'est une nouvelle réalité à laquelle sont confrontées les équipes et les jeunes espoirs avec l'omniprésence d'informations et de statistiques à leur sujet. Ce phénomène n'existait pas, il y a 30 ans.
À mon époque, les gens découvraient les meilleurs espoirs à leur premier camp d'entraînement. On en avait entendu parler, mais on ne les avait presque jamais vus jouer. Maintenant, à peu près n'importe qui peut regarder n'importe quel match de n'importe quelle ligue. Ça crée un gros engouement auquel participent aussi les équipes juniors et les agents en faisant la promotion des bons coups de leurs joueurs.
Le développement et la progression des jeunes sont sous la loupe de façon beaucoup plus intense qu'avant. Ça crée des attentes très élevées, et automatiquement un risque pour le joueur. C'est un autre des aspects auxquels il faut porter une attention particulière… comme s'il n'y en avait pas déjà assez.