Kyle Okposo David Backes Andrew Ladd Milan Lucic

Les directeurs généraux de la LNH sont, sans exception, obsédés par le plafond salarial. Chaque geste est apprécié en fonction de ce qu'il leur en coûte à court, moyen et long terme. Cette notion traverse de part en part le récit captivant, publié par le chroniqueur de Sportsnet Elliotte Friedman,
de ces 23 minutes qui ont secoué la LNH au début de l'été
.
À travers les échanges de deux supervedettes (Taylor Hall et P.K. Subban) et la signature d'une entente à long terme par Steven Stamkos, encore et encore le plafond salarial, plus que les salaires eux-mêmes, revient à la surface. Peter Chiarelli, des Oilers d'Edmonton, est manifestement préoccupé par le salaire considérable qu'il devra consentir à Connor McDavid, même si celui-ci a encore deux saisons à écouler à son actuel contrat. Marc Bergevin voit arriver la date du 1er juillet avec inquiétude : passé cette limite, Subban aura un droit de regard absolu sur une éventuelle transaction. Et nombre de ses partenaires potentiels sont craintifs face au contrat massif de Subban. Et les Predators de Nashville? S'ils adoraient manifestement leur capitaine, n'oubliez jamais que le contrat de Shea Weber n'a pas été négocié par eux. L'entente de 14 ans était le fruit d'une offre hostile des Flyers de Philadelphie. Soit les Predators reprenaient l'entente à leur compte, soit ils se retrouvaient le bec à l'eau.

Bref, il est toujours sidérant, dans ce contexte, de voir que chaque été ramène son lot de signatures de contrats faramineux. Il faut le dire, la mécanique salariale mise en place par la LNH force le jeu. Chaque équipe doit respecter à la fois un plafond et un plancher salarial, l'un étant aujourd'hui à 73 millions de dollars, l'autre à 54 millions.
Lorsqu'on regarde le détail des contrats signés depuis le 1er juillet (date d'ouverture du marché des joueurs autonomes), le portrait se nuance quelque peu.
L'immense majorité des contrats signés sont des ententes à court terme et pour des sommes relativement restreintes. Ainsi, 304 contrats (incluant celui de Jonathan Huberdeau, annoncé au moment d'écrire ces lignes) ont été signés depuis le 1er juillet, pour un total de 436 millions $ si on additionne toutes les valeurs annuelles moyennes de ces ententes.
Ça peut sembler énorme, mais dans les faits, on doit garder à l'esprit que les joueurs reçoivent, à la suite de la convention collective signée en 2013, des salaires équivalents à 50 pour cent des revenus de la LNH. Concrètement, cela se manifeste par un total actuel d'un peu plus de 2 milliards $ promis en salaires pour la prochaine saison. J'ignore les revenus anticipés de la LNH, mais si ceux-ci devaient être inférieurs au double de cette somme, chaque joueur verra simplement son salaire amputé au prorata du manque à gagner de la ligue.
Bref, le total des salaires consentis, au-delà des montants apposés aux contrats, est totalement contrôlé. Reste aux DG des différentes équipes à manœuvrer pour tirer le maximum de leur marge de manœuvre.
La répartition des contrats signés en fonction de l'âge du joueur et de la durée du contrat fait apparaître un premier élément, soit le rôle central des joueurs de moins de 27 ans dans l'architecture des différentes équipes de la LNH. Ils ont signé 163 des 304 ententes paraphées dans cette période, soit 54 pour cent des contrats, pour une valeur annuelle cumulée de 136 millions $, 31 pour cent de la valeur totale de ces mêmes ententes. Les joueurs âgés de 27 à 30 ans sont l'autre gros morceau de la force de travail.

Bouchard 9-7-16 Fig 1
Bouchard 9-7-16 Fig 2

Le deuxième graphique, qui cumule les valeurs annuelles comptabilisées sous le plafond, montre où, exactement, les directeurs généraux placent leurs billes : chez les jeunes joueurs. J'ai été le premier à m'étonner de certains contrats signés à l'ouverture du marché des joueurs autonomes, mais au bout du compte, seulement quatre ententes de trois ans ou plus ont été consenties à des joueurs de 31 ans et plus : Ben Lovejoy, Frans Nielsen, Eric Staal et David Backes. De ces ententes, seules
celles de Nielsen
et
Backes
me semblent exagérées.
Il y a bien sûr d'autres ententes qui semblent surprenantes, notamment celles de Milan Lucic, Andrew Ladd, Kyle Okposo, Loui Eriksson, menant tous ces joueurs au cap des 35 ans et plus, mais encore une fois, on parle de quatre contrats.
Non, tout ce beau monde concentre désormais sa prise de risque chez les joueurs plus jeunes, ayant encore des années d'autonomie sans compensation à écouler. L'autre élément qui ressort de plus en plus,
j'en discutais la semaine dernière en parlant de John Chayka
, le DG des Coyotes de l'Arizona, c'est la volonté des équipes riches et pauvres de s'échanger leurs problèmes.
La valeur comptabilisée sous le plafond salarial est une simple moyenne annuelle; dans les faits, nombreux sont les joueurs à recevoir un salaire différent de cette valeur selon qu'ils sont au début ou à la fin de leur contrat. On se retrouve donc avec, à travers la LNH, des salaires « cachés », qui sont payés, mais ne comptent pas sous le plafond. Et on se retrouve, à l'inverse, avec des salaires « comptables ». Le salaire de Pavel Datsyuk en est l'exemple par excellence : les Coyotes ne lui verseront pas un sou, mais il accaparera quand même 7,5 millions $ sur la masse salariale. Enfin, tous les clubs ont le droit d'assigner des joueurs blessés à la réserve pour joueurs blessés à long terme. Si l'équipe « crève » le plafond salarial, ce salaire en réserve peut être soustrait au plafond. Les Red Wings de Detroit et les Penguins de Pittsburgh auront manifestement recours à ce dispositif lors de la saison. Aussi, un salaire sur la liste à long terme peut, parfois, être couvert par les assurances; je soupçonne
que c'est le cas de David Bolland, passé aux Coyotes cet été.
Concrètement, lorsqu'on découpe ainsi les salaires, la structure financière des équipes se nuance. Le graphique suivant rend compte de ces nuances.

Bouchard 9-7-16 Fig 3

Vous n'avez pas la berlue : neuf équipes vont selon toute vraisemblance dépenser plus en salaires que la limite de 73 millions $ (grâce aux salaires cachés) et les Coyotes, si le salaire de Bolland est bel et bien assurable, paieront environ 50 millions $ en salaires, soit 4 millions $ sous le plancher salarial! Notez comment les Sabres de Buffalo, s'ils sont sous le plafond, usent dans les faits des poches profondes de leurs propriétaires pour payer un surcoût (l'acquisition d'Evander Kane et Zach Bogosian était essentiellement structurée autour de cet atout des Sabres).
Tout ça passe un peu sous le radar et peut, par conséquent, sembler un peu louche. Mais c'est dans les règles. Plus encore, il est de toute évidence souhaitable pour la LNH que ce genre de marge de manœuvre existe pour donner plus d'air aux équipes. La saison morte s'en trouve grandement animée.