Karlsson

OTTAWA - Il y avait une étincelle chez lui, le genre de chose qui frappe l'imagination des hommes de hockey et les amène à rêver de grandes réalisations, même si les rêves qu'ils avaient manquaient de grandeur. À l'instar d'Erik Karlsson, par exemple, qui n'avait qu'un gabarit de cinq pieds 10 pouces et 157 livres à l'époque. Sauf que tout cela n'avait aucune importance dans son cas puisqu'on retrouvait chez lui de la vitesse et du talent, et aussi quelque chose de spécial à l'intérieur.
« Une chose qui m'avait vraiment impressionné, et dont je me souviendrai toujours quand j'allais le voir jouer en tant que dépisteur, c'était son esprit de compétition », a indiqué le directeur général des Sénateurs d'Ottawa Pierre Dorion, en songeant aux mois précédant l'été 2008, l'année où les Sénateurs ont réalisé une transaction afin de pouvoir réclamer Karlsson au 15e rang du repêchage de la LNH. « Je me souviens d'un match [de la Suède] contre le Canada et il était prêt - même s'il était tellement petit, comparé à plusieurs des joueurs canadiens - à les affronter et à batailler farouchement contre eux. »
C'est l'approche qu'a adoptée le défenseur des Sénateurs, qui fait maintenant six pieds et 191 livres, contre tout le monde et tout le reste, et qui a lui a permis de prendre le contrôle d'une équipe, d'un vestiaire et de ces séries éliminatoires de la Coupe Stanley, en plus de faire de lui un capitaine qui a trouvé sa voix et son erre d'aller, et de lui conférer le statut de meilleur joueur encore en lice dans ces séries - peut-être même de meilleur joueur dans la LNH tout court.

Pas seulement le meilleur défenseur. Le meilleur joueur.
\\\\
Ils ne savent plus quoi dire de nouveau à son sujet. Ils ont trouvé toutes les façons possibles - nouvelles et anciennes, originales et clichées - pour expliquer ce que représente Karlsson pour l'équipe. En fait, c'est impossible de vraiment expliquer le phénomène Karlsson, surtout quand on regarde ce qu'accomplit l'athlète de 26 ans en ce moment, à tel point que ses 14 points (deux buts, 12 aides) en 15 matchs éliminatoires ne reflètent pas vraiment l'impact qu'il a. Il transporte les Sénateurs, et il le fait malgré deux fêlures au talon gauche.
Il n'y a rien de surprenant à ce qu'ils ne trouvent plus les mots. Quand même, ils continuent d'essayer.
« Il a été formidable, a affirmé l'attaquant Clarke MacArthur. On voit la façon qu'il a accepté de s'atteler à la tâche en matière de petits gestes cette saison, par exemple pour bloquer des tirs, et qu'il aborde les discussions ayant trait au [trophée] Norris. Dans notre vestiaire, il ne fait aucun doute qui est le meilleur joueur au monde. Nous savons de qui il s'agit. »
Quand Dorion s'est assis avec Guy Boucher pour la première partie de son entrevue, l'an dernier, avant qu'il soit embauché au poste d'entraîneur, ils ont passé beaucoup de temps à parler de Karlsson, de la façon dont Boucher gérerait son cas.
Boucher était convaincu que Karlsson, à qui on avait collé l'étiquette d'un joueur dont le jeu défensif n'était pas à la hauteur de ses capacités offensives, pouvait s'améliorer défensivement. Il estimait qu'il était un joueur qui devait jouer au sein du désavantage numérique, sur qui on devait se fier durant les dernières minutes des matchs, et qui devait se trouver parmi les meneurs de la Ligue au chapitre des tirs bloqués.
« Ce n'est pas parce qu'il n'était pas bon, a dit Boucher de ses carences en défensive. Il était excellent avec la rondelle. Je trouvais qu'il avait un excellent sens de l'espace qu'il devait laisser entre lui et les autres. Mais l'énergie qu'il dépensait sur la glace l'empêchait d'être aussi bon en défensive. Ce n'est pas parce qu'il n'avait pas les outils. »
Et c'est comme ça que Karlsson s'est retrouvé sur la glace en vue des dernières minutes cruciales du sixième match de deuxième tour dans l'Association de l'Est contre les Rangers de New York, alors que les Sénateurs menaient par un but.
« Je pense que ça en dit beaucoup : si vous aviez demandé à bien des gens à la fin de la saison dernière, 'Erik va disputer presque six des huit dernières minutes d'un match où on a une avance d'un but', je ne pense pas que bien des gens vous auraient cru, a avancé Dorion. Mais on a vu à quel point il a été bon dans ces huit dernières minutes-là. »
C'est ce match qui a permis aux Sénateurs d'atteindre la Finale de l'Association de l'Est pour la première fois en une décennie, et de se rendre jusqu'au match no 4 contre les Penguins de Pittsburgh, vendredi à Ottawa (20h (HE) ; TVA Sports, CBC, NBCSN), forts d'une avance de 2-1 dans la série quatre de sept.
Mais qu'est-ce qui a permis à Karlsson de se rendre jusqu'ici?
\\\\
On aurait pu croire qu'il s'agissait d'une tâche impossible qu'un joueur du niveau de Karlsson progresse autant cette saison, qu'il devienne un joueur encore meilleur que celui qui a remporté deux des cinq derniers trophées Norris, celui qui s'était déjà élevé au rang des défenseurs de premier plan dans la LNH.
Et pourtant, c'est ce qu'il a fait, réagissant bien au système mis en place par Boucher, le 1-3-1, s'adaptant à la nécessité de faire de plus courtes présences sur la patinoire et de jouer de façon plus responsable en défensive. Il a réussi en acceptant qu'on l'aide à y arriver, en acceptant de partager un fardeau qu'il était injuste d'imposer à une seule personne.
« Celui qui a aidé le plus, c'est probablement Daniel Alfredsson », a dit Dorion du légendaire joueur à la retraite des Sénateurs qui a été le capitaine de l'équipe pendant 13 saisons et qui occupe le poste de conseiller principal des opérations hockey au sein de l'organisation.
Alfredsson, après tout, est la personne la mieux placée pour savoir ce que ça veut dire d'être Karlsson, d'être capitaine à Ottawa, de mener l'équipe vers de tels succès. Ils ont joué ensemble, autant avec les Sénateurs qu'avec la Suède, et ils ont dû composer avec les mêmes situations et le même genre de pression.
Il n'est pas le seul à avoir accepté de prendre le fardeau en charge, toutefois. Le défenseur Dion Phaneuf, l'ancien capitaine des Maple Leafs de Toronto, s'est vu donner un casier tout près de celui de Karlsson dans le vestiaire, et les deux se sont bien entendus dès le départ. Ils ont voyagé ensemble, joué au golf, ils sont devenus un tandem.
Comme l'a dit Boucher, Phaneuf a été « formidable pour Erik, alors qu'il a pris sur lui une bonne partie de la pression ».
« Les gens ne sont pas au courant des choses qui viennent avec la pression qu'on lui impose, avec le fait d'être capitaine, a noté Phaneuf. Il y a beaucoup de responsabilités sur tes épaules. Moi, j'essaie de le soutenir de toutes les façons possibles. Il s'agit de se partager les tâches en matière de leadership. »
En fin de compte, toutefois, tout repose sur Karlsson. Il met ses coéquipiers au défi et il analyse leurs succès et leurs insuccès, pendant qu'il continue d'apprendre et de gagner en maturité tout en trouvant sa voix à sa troisième campagne dans le rôle de capitaine.
On a pu le voir lors du deuxième match de la série de premier tour dans l'Association de l'Est, contre les Bruins de Boston, quand Karlsson s'est mis sur le cas de l'attaquant Derick Brassard après qu'une erreur eut mené à un but en désavantage numérique des Bruins. Il a enguirlandé son coéquipier, le même qu'il alimenterait un peu plus tard au moyen d'une lumineuse passe pour ainsi préparer le filet égalisateur des Sénateurs, qui l'ont éventuellement emporté.
« Il a de telles attentes match après match, a indiqué l'attaquant Bobby Ryan. Il a des attentes élevées à son endroit et ensuite, il en exige autant de tous ceux qui l'entourent. C'est pourquoi il est notre chef de file et c'est pourquoi il est le meilleur au monde. »
\\\\
Karlsson n'était pas content. Il estimait qu'il méritait le trophée Norris après la saison 2015-16, un honneur qui est allé à Drew Doughty, des Kings de Los Angeles, même si Karlsson avait récolté 82 points en 82 matchs, y allant notamment de 66 mentions d'aide, un sommet dans la Ligue cet hiver-là.
« Je ne dirais pas qu'il l'a mal accepté, mais il croyait qu'il avait probablement été le meilleur défenseur la saison dernière et le fait qu'on ne lui donne pas le Norris… Je me souviens d'en avoir parlé avec lui, d'avoir dit que ce n'était pas juste une question de points, il s'agissait de jouer au meilleur de ses capacités à cette position », a déclaré Dorion.
Karlsson a donc cherché à s'améliorer.
« Je dirais que c'est un de mes objectifs chaque année, d'essayer de m'améliorer comme individu et comme joueur, a affirmé Karlsson. Je trouve que cette année, nous avons beaucoup progressé, pas seulement moi, mais l'organisation dans son ensemble et tout le monde dans l'équipe, et je pense que ça m'a aidé à devenir un meilleur joueur qu'avant. »
Aucun doute.
« Ce que j'aime, c'est qu'Erik a amené toutes les qualités qu'on retrouve chez un joueur de premier plan à un niveau supérieur, a souligné Boucher. Il a toujours été percutant à l'attaque, il a toujours eu cette bonne vision du jeu, il a toujours eu ces habiletés, mais ce qu'il a fait cette saison, c'est qu'il a su exploiter ses atouts dans les bons moments et pour les bonnes raisons. »
Il s'est emparé des Sénateurs et les a amenés avec lui à ce niveau supérieur, alors qu'il est devenu à la fois le visage de la LNH et l'avenir de la Ligue.
« Le hockey est beaucoup plus rapide de nos jours, et ce sera encore plus rapide dans 10 ans », a noté Peter Popovic, un ancien défenseur de la LNH et un adjoint au sein d'Équipe Suède à la Coupe du monde de hockey 2016. « Erik a de la vitesse dans les jambes, mais il en a aussi dans les mains et dans la tête. Je crois que les meilleurs joueurs au monde, qu'ils soient défenseurs ou attaquants, ont toujours une fraction de seconde d'avance sur tout le monde. »
C'est le cas d'Erik Karlsson.
Ceci est son équipe. C'est son année. C'est sa LNH, une ligue qui progresse en allant dans la direction que dictent des joueurs comme lui, des joueurs qui mettent l'accent sur la vitesse, le talent et le désir de se surpasser. Il a tout ce qu'il faut et tous les horizons s'ouvrent devant lui.