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Le trophée Selke, remis annuellement au meilleur attaquant défensif, est l'un des plus intéressants à débattre et, il faut le dire, celui pour lequel les nouvelles statistiques maintenant disponibles permettent de mieux discerner les plus méritants.
Depuis 10 ans, Patrice Bergeron (quatre fois) et Pavel Datsyuk (trois fois) ont dominé. Seuls Anze Kopitar, Ryan Kesler et Jonathan Toews ont réussi à usurper le titre depuis.

Mais maintenant que Datsyuk est parti dans la KHL et que Bergeron, blessé pour de longues périodes, est en marge de la compétition, la porte est de nouveau ouverte.
Le premier défi est, comme toujours, de faire une première liste. À partir des bases de données de Corsica.Hockey, j'ai choisi, dans un premier temps, de ne garder que les attaquants ayant joué au moins 1000 minutes à forces égales et 100 minutes en désavantage numérique, ce qui m'a donné une liste de 35 noms.
J'ai ensuite élagué cette liste en ne conservant que ceux qui ont, au cours de la dernière saison, obtenu un score positif sur un indice bien précis : la part relative des buts attendus à forces égales.
Outre le fait d'être payant au Scrabble - du moins, je le suppose, je ne sais pas jouer au Scrabble - cet indice est construit sur deux notions qui sont à mon sens essentielles pour évaluer le jeu défensif d'un joueur :
L'un dans l'autre, ces deux éléments contribuent à mieux illustrer la réussite d'un bon joueur défensif : il ne suffit pas d'empêcher les meilleurs joueurs adverses de marquer, il faut aussi leur coller des buts!
La liste ainsi élaguée nous laisse 22 joueurs à évaluer. Reste maintenant à voir dans quel contexte ils ont fait leur travail, ce qui implique d'évaluer la difficulté des tâches à accomplir. Deux éléments sont ici en cause : la qualité des adversaires affrontés et la qualité des coéquipiers qui les ont accompagnés dans ces missions.
Pour mesurer simplement ces éléments, je me reporte aux parts de buts attendus des adversaires et des coéquipiers. En soustrayant l'un à l'autre, on obtient un coefficient d'adversité relative.
Un exemple : Jonathan a affronté depuis le début de la saison des adversaires qui, collectivement, ont affiché un taux de buts attendus de 50,52 pour cent. C'est le plus haut taux parmi nos 22 attaquants. Il a fait ce travail accompagné de joueurs ayant un taux de buts attendus de 48,92 pour cent, au 12e rang parmi les 22 joueurs retenus. Globalement, il affiche donc un taux d'adversité relative de 1,6 pour cent, le 12e parmi les 22 attaquants qui nous intéressent.
Voici la liste complète des attaquants en question.

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Le duo de choc Mikko Koivu - Mikael Granlund trône en tête de ce classement. Leur mérite est évident, mais si on cherche un candidat pour l'honneur individuel, je pense qu'on doit regarder du côté des trois joueurs suivants dans cette liste. William Karlsson, Ryan O'Reilly et Sean Couturier sont ceux qui se démarquent le plus à mes yeux parce qu'en plus d'être tout juste derrière le duo du Minnesota, ils ont eu à œuvrer en compagnie de coéquipiers beaucoup moins aptes à tenir tête aux meilleurs éléments adverses.
On retrouve derrière eux un autre duo, Brandon Saad et Jonathan Toews, ainsi que le formidable centre numéro un des Panthers de la Floride, Aleksander Barkov.
Reste donc à distinguer leurs performances. Dans l'esprit du trophée Selke, je vois trois angles par lesquels on peut y arriver : le jeu en désavantage numérique, les points obtenus à forces égales, le bilan des pénalités.
Couturier, O'Reilly et Karlsson se détachent des autres en désavantage numérique, et des trois, Couturier est celui qui s'impose le plus. Pour tout dire, j'ai commencé mes recherches pour cet article en ayant un préjugé favorable pour O'Reilly et c'est en observant les données suivantes que j'ai dû me rendre à l'évidence : ce n'est pas aussi clair que je le pensais.

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J'ai repris, pour la production offensive à forces égales, un calcul que j'ai utilisé en décortiquant les résultats pour le joueur par excellence de la Ligue. En gros, je distingue, dans la production offensive d'un joueur, ce qui est attendu(le pourcentage de buts sur lesquels il obtient des points appliqué au nombre de buts attendus de son équipe lorsqu'il est sur la glace) de la poussée qu'il obtient des pourcentages, soit la différence entre ses points attendus et ses points réels.
Cette poussée peut être négative comme positive, vous le constatez dans le graphique ci-dessous.

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Ici encore, O'Reilly traine de la patte derrière Karlsson et Couturier.
J'ai parlé, il y a quelques semaines, de l'étonnante saison de « Wild Bill »
et je pense que sa production est en partie gonflée par un taux de réussite exagéré de sa part, ainsi que d'un réel bénéfice dérivant de son association continue à l'excellent Jonathan Marchessault. C'est un peu la même chose pour Couturier, qui bénéficie de l'aide de Claude Giroux et Travis Konecny. O'Reilly, qui a joué tour à tour avec Sam Reinhart, Kyle Okposo, Benoit Pouliot et Evander Kane, n'a pas eu le même genre d'appui.
Enfin, il y a la discipline. La capacité d'un joueur à surveiller les meilleurs éléments adverses, leur coller des buts tout en évitant de prendre des pénalités, c'est en quelque sorte le tour du chapeau du joueur défensif. Personne, dans cette Ligue, ne reçoit aussi peu de pénalités qu'O'Reilly. Mais Couturier n'est pas en reste :

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Koivu, de son côté, perd ici beaucoup de lustre. C'est un peu à regret, donc, que je me rends à l'évidence. Pour cette fois-ci, je me dois de donner cet honneur à Sean Couturier, qui, en plus d'animer le premier trio offensif de son équipe (Jack Eichel se charge de ça à Buffalo), fait aussi tout le travail défensif à Philadelphie. Comme Anze Kopitar, comme Barkov et Karlsson en fait, mais avec de meilleurs résultats à la clé. Outre Kopitar, ces joueurs sont tous encore jeunes. Je suis curieux de voir si l'un d'entre eux va finir par s'imposer à la manière de Bergeron et Datsyuk au cours des prochaines saisons.