Jarnkrok 7-27

Les ententes à long terme attirent l'attention. Les montants faramineux, concédés à des joueurs vedettes sont, après tout, les moments les plus spectaculaires de l'entre-saison. Mais aucune équipe ne peut prétendre aux grands honneurs en étant charriée par ses seules vedettes. C'est par la qualité du personnel de soutien qu'on distingue les meilleures organisations et ce personnel est, la plupart du temps, développé à l'interne.

On associe souvent l'idée de personnel de soutien à des joueurs de troisième ou quatrième trio, des éléments à vocation défensive, des vétérans. Mais dans la LNH actuelle, le vrai personnel de soutien est plutôt constitué de joueurs dans la force de l'âge, entre 23 et 28 ans, capables de contribuer offensivement et attachés à leur club par des ententes à long terme leur conférant un salaire raisonnable, mais qui s'achèvent généralement avant qu'ils ne passent le cap de la trentaine.

Ces ententes sont avantageuses à de nombreux niveaux pour les équipes. Elles leur évitent, d'une part, de payer ces joueurs le gros prix pour des années de déclin (l'essentiel des joueurs voient leurs performances plafonner passé 25 ans et décliner après 30). Mais surtout, en mettant faisant signer ces joueurs à long terme à 23, 24 ou 25 ans, on profite de leur pouvoir de négociation réduit.

Un joueur voit son pouvoir de négocier augmenter grâce à deux mécanismes. S'il a moins de 27 ans, il ne peut négocier qu'avec l'équipe détentrice de ses droits mais peut, après une période donnée, avoir droit à l'arbitrage salarial. La plupart des joueurs y ont droit après leur quatrième année d'expérience. L'arbitrage est une procédure par laquelle le joueur et l'équipe donnent à un arbitre un montant considéré comme juste pour leurs services. L'arbitre tranche entre les deux. Les joueurs ayant 27 ans ou sept années d'expérience peuvent quant à eux négocier avec l'équipe de leur choix; on dit d'eux qu'ils ont l'autonomie complète.

Donc, lorsqu'on évalue un contrat, on doit le faire en le découpant en une série de composantes. Est-ce que contrat achète une quatrième saison d'expérience? Celle-ci vaut généralement très peu, le joueur n'ayant pas vraiment de levier pour négocier. Combien de saisons d'autonomie restreinte avec droit à l'arbitrage ce contrat recouvre-t-il? Et combien de saisons où le joueur aurait eu droit à l'autonomie complète?

La tentation est forte, pour les équipes, de faire signer à leurs jeunes joueurs vedettes des contrats que l'on qualifie « de transition », soit d'un, deux, parfois trois ans immédiatement après leur contrat de recrue. On paye alors à prix fort modique (on n'achète qu'une ou deux saisons d'arbitrage salarial) des saisons qui sont généralement parmi les meilleures, statistiquement parlant, des joueurs de la LNH. Mais ces contrats sont un couteau à double tranchant. Si le joueur explose pendant ce contrat, l'équipe peut alors se retrouver avec une facture bien plus salée. C'est vrai pour les joueurs vedettes (c'est un peu pourquoi Ryan Johansen a été sorti de Columbus), mais ça l'est aussi pour le personnel de soutien.

C'est arrivé aux Blackhawks de Chicago avec Bryan Bickell (qu'on a payé un demi-million de dollars par saison jusqu'à l'âge de 26 ans), Dustin Byfuglien, ou dernièrement Andrew Shaw, mais aussi au Lightning de Tampa Bay avec un joueur comme Alex Killorn.

Il semble que certaines équipes commencent désormais à chercher à contourner ce problème en donnant rapidement des contrats à long terme à de jeunes joueurs. Les Canadiens de Montréal ont ainsi donné un contrat de six ans à Brendan Gallagher immédiatement après que celui-ci eut terminé son contrat de recrue. Les Sénateurs d'Ottawa ont réussi à boucler une entente sensationnelle avec Mike Hoffman, le gardant avec l'équipe pour les quatre prochaines saisons, jusqu'à l'âge de 30 ans, pour une moyenne de 5 millions $ par saison.

Les cas les plus extrêmes sont probablement ceux de Connor Murphy et Calle Jarnkrok. Murphy, un ancien choix de première ronde, vient de signer un contrat de six ans ayant une valeur annuelle de 3,8 millions $ par saison. Pourtant, il n'a jamais fait plus de 17 points dans une saison et joue sur la deuxième ou la troisième paire des Coyotes de l'Arizona. Mais il ne peut que s'améliorer. Même s'il ne se stabilise au niveau d'un défenseur no 3, un pari conservateur, vu son pedigree et le fait qu'il est un défenseur régulier depuis l'âge de 21 ans, Murphy sera une bien meilleure affaire que ce qu'un joueur équivalent pourrait coûter sur le marché des agents libres. Et contrairement à un agent libre qui devrait probablement être payé au prix fort au-delà de l'âge de 30 ans, Murphy disputera sa dernière année de contrat à l'âge de 29 ans.

Le cas de Jarnkrok est encore plus intéressant. Âgé de 24 ans, on le signe pour six ans à raison de 2 millions $ par saison. Ici, on cherche manifestement à éviter le problème d'un Killorn, soit un joueur de soutien utile, dans la force de l'âge et qui connaît une bonne séquence en séries éliminatoires de coûter très cher. Les joueurs de troisième trio capables de marquer 25 points et plus sont une denrée bien plus rare qu'on ne le croit et à ce prix, Jarnkrok peut très bien se retrouver sur le quatrième trio sans qu'on y voie un problème. Or, encore ici, il est peu probable que ce joueur régresse significativement d'ici la fin de son contrat, alors qu'il aura 31 ans. Et je note que Jarnkrok a terminé la saison sur le premier trio des Predators de Nashville, jouant avec James Neal et Johansen. S'il réussit à s'installer à leurs côtés pour quelques saisons, le pari pourrait être très payant.

C'est une idée que je retourne en tous sens depuis quelques articles : les contrats à long terme, encore aujourd'hui attribués majoritairement à des joueurs qui approchent de la trentaine, sont un héritage de la fin des années 1990 et du début des années 2000. Je soupçonne qu'il est aujourd'hui plus avantageux pour les équipes de donner à ces vedettes vieillissantes des contrats à plus court terme, mais leur donnant de plus hauts montants annuels. Mais pour ce faire, on doit cesser de payer des salaires importants au personnel de soutien. C'est donc de ce côté qu'on doit désormais chercher à diluer les montants annuels dans la durée en exploitant le fait que, contrairement aux étoiles qui restent longtemps efficaces, ces joueurs disputent l'essentiel de leur carrière avant l'âge de 30 ans, soit au moment où leur pouvoir de négociation est moins élevé. Peut-être que cette tendance n'est pas encore réellement amorcée, que des contrats comme celui de Jarnkrok sont exceptionnels. Mais j'ai l'impression qu'on va y arriver plus tôt que tard.