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C'est une question qui hante bien des équipes : en l'absence d'un joueur étoile dominant, à qui doit-on confier le poste de centre numéro un? Les Blue Jackets de Columbus ont eu à prendre des décisions difficiles sur ce plan, au cours des dernières saisons, échangeant tour à tour Artem Anisimov et Ryan Johansen. La mise sous contrat d'Alexander Wennberg annonce maintenant une ère de stabilité.
Wennberg est un bon jeune joueur, qui vient de connaître une saison remarquable. Mais, à 4,9 millions $ par saison pendant 6 ans, on ne lui a pas exactement ouvert les coffres. Il faut le dire, Wennberg et les Blue Jackets ont fait un choix relativement rare ces jours-ci, celui de signer d'emblée à long terme à la suite de son contrat de joueur recrue, à l'image de Jonathan Drouin à Montréal et Leon Draisaitl à Edmonton. Sans les points cumulés par le premier et le plus jeune âge du second, Wennberg est celui qui a obtenu le plus faible montant. Pourtant, on a ainsi confirmé son statut de joueur de centre numéro un.

Je dis bien « confirmé », parce que ce statut était déjà évident dans l'usage qui est devenu le sien au fil des matchs.
Les bons joueurs ont en effet tendance à jouer plus souvent, surtout contre les meilleurs éléments adverses. Une façon simple d'évaluer la chose se fait en deux mouvements. Dans un premier temps, on calcule quelle part de son temps une équipe passe à jouer contre les meilleurs éléments adverses. Pour ce faire, je considère simplement les moments ou au moins quatre des cinq joueurs sur la glace appartiennent aux six attaquants et aux trois défenseurs les plus utilisés. Ce taux tourne généralement autour de 40 pour cent. Ensuite, je regarde combien de temps un joueur donné passe sur la glace dans ces mêmes conditions. En divisant le second taux par le premier, on voit jusqu'à quel point un joueur passe, par rapport au reste de son équipe, plus ou moins de temps dans les situations les plus exigeantes.
Sur ce plan, les responsabilités de Wennberg ont constamment augmenté depuis trois ans. L'an dernier, il fut celui des centres de son équipe qui a eu à affronter le plus souvent les meilleurs éléments adverses.

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L'extrême fluidité du jeu fait en sorte que cet indice ne représente pas exactement les seules tâches attribuées par l'entraîneur d'un joueur. Il indique aussi jusqu'à quel point les équipes adverses souhaitent surveiller un joueur en particulier. Bien que ses tâches aient augmenté chaque saison, donc, on ne doit pas faire l'erreur de considérer le Suédois comme un joueur défensif; ce rôle est plutôt délégué à Brandon Dubinsky.
Ce dernier n'a pas vu son indice d'adversité varier significativement depuis trois ans, mais son rôle a évolué. Alors que Wennberg accapare une part grandissante des mises en jeu en zone offensive, Dubinsky dispute quant à lui une part de plus en plus large de mises en jeu en zone défensive.

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Cette division du travail entre Dubinsky et Wennberg concorde avec une concentration des responsabilités majeures sur les épaules de ces deux joueurs. Si on retourne au premier graphique, on voit bien que les autres centres de l'équipe ne jouent presque pas contre les meilleurs éléments adverses. Sam Gagner et Lukas Sedlak ont profité de cet allègement de tâches pour faire flèche de tout bois sur le quatrième trio.

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En plus de pousser le taux de possession à un degré inégalé par les autres centres de l'équipe, le quatrième trio a donné aux Blue Jackets une contribution offensive substantielle. Loin des meilleurs éléments adverses à forces égales, Sam Gagner a obtenu 32 points et Scott Hartnell, 34.
Dans ce contexte, outre son rôle plus offensif, révélé par le plus grand nombre de mises en jeu en zone offensive qu'on lui demande de disputer, Wennberg joue tout de même, en compagnie de Dubinsky, un rôle défensif de « paratonnerre ». Un exemple fort intéressant, donc, que celui de cette équipe qui, sans joueur de centre étoile, a su organiser son attaque pour tirer le maximum des éléments à sa disposition.
Reste que tout n'est pas coulé dans le béton pour Wennberg. On lui a graduellement adjoint, au cours des deux dernières saisons, les services de l'ailier Brandon Saad. Si ces deux joueurs n'ont presque pas joué ensemble sur les unités spéciales, à forces égales, ils ont partagé pas moins de 75 pour cent de leur temps de jeu. Et des deux, il semble que Saad soit celui qui avait le plus fort impact sur le déroulement des choses. En effet, qu'il soit ou non réuni avec Wennberg, le taux de tirs obtenu par l'équipe en sa présence ne varie presque pas. Mais lorsqu'on a envoyé Wennberg au front sans Saad, la part des tirs obtenus par l'équipe passe de 54 à 45 pour cent.

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Wennberg est encore jeune et Artemi Panarin, qui s'est amené cet été en échange de Saad, n'est certainement pas un pied de céleri. Mais les données sans Saad sont incriminantes. La question va donc demeurer jusqu'à ce que le jeune centre démontre qu'il peut tirer le traîneau, même lorsque séparé d'un ailier étoile. Ça n'est pas une petite commande, et c'est sur la réponse à cette question que reposent en grande partie les chances de l'équipe de bâtir sur les succès de la dernière campagne. Un dossier à suivre, donc.