Alexander Mogilny Sabres HHOF

TORONTO — Alexander Mogilny dormait d’un sommeil profond quand le téléphone a sonné en plein milieu de la nuit en Russie.

C’était l’appel qui avait mis près de deux décennies à venir.

Quand l’homme de 56 ans a répondu, encore un peu désorienté, la voix à l’autre bout du fil était celle de Ron Francis, l’ancien grand joueur de la LNH qui agit maintenant comme président du comité de sélection du Temple de la renommée du hockey. Le message qu’il voulait transmettre à Mogilny, qui est présentement le président de l’équipe de sa ville d’origine, l’Amur Khabarovsk de la Kontinental Hockey League: félicitations pour avoir été élu au Temple de la renommée.

Francis n’a pas utilisé le mot « enfin ». Mais il aurait probablement dû de le faire.

Mogilny n’a pas réagi en criant ou en sautant de joie. Dans le contexte, à sa 17e année d’admissibilité en vue d’une éventuelle sélection, après avoir été ignoré encore et encore, on peut très bien comprendre qu’il se soit contenté de quelques sobres mots de reconnaissance.

« Je suis heureux de faire partie d’une aussi grande organisation comme le Temple de la renommée du hockey, a dit Mogilny. Je veux remercier mes coéquipiers russes et de la LNH pour m’avoir aidé à recevoir cet honneur. »

Francis a évoqué la saison 2003-04, quand il a disputé les 12 derniers matchs d’une carrière qui l’a également mené au Temple de la renommée, et s’est alors aligné aux côtés de Mogilny avec les Maple Leafs de Toronto. Il avait offert une bouteille de vin spéciale à ce dernier et il se demandait, si son ancien coéquipier l’avait encore en sa possession, s’il allait l’ouvrir pour célébrer ce moment.

« Il est trois heures du matin ici », a répondu Mogilny.

Il s’est rendormi peu après, si bien qu’il n’était pas disponible pour participer à la conférence de presse du Temple en compagnie des autres personnes choisies pour faire partie de la cohorte de 2025.

Après tout ce temps d’attente, qui pouvait lui reprocher de vouloir profiter de quelques heures de sommeil de plus ?

Certainement pas le gardien de but et membre du Temple Martin Brodeur, le coéquipier de Mogilny avec l’équipe des Devils du New Jersey qui a remporté la Coupe Stanley en 2000.

« J’avais un large sourire quand j’ai entendu la nouvelle qu’Alex avait finalement été élu, a dit Brodeur à NHL.com depuis sa résidence de la grande région de St. Louis. Je veux dire, c’est une nouvelle qui était attendue depuis longtemps étant donné que c’est quelqu’un qui méritait clairement d’être au Temple.

« Mais pourquoi ç’a été si long ? »

C’est là une question que des joueurs et anciens joueurs, les représentants des médias et les partisans, tous ceux qui aiment le hockey en fait, se posent depuis des années.

Mogilny, qui est admissible à l’intronisation depuis 2009, offrait une combinaison de statistiques et de sens du spectacle qui ont fait de lui un des athlètes sur glace les plus mémorables de sa génération, lui dont la carrière s’est étendue de 1989 à 2006. À ce titre, il a connu une des saisons les plus remarquables dans l’histoire de la LNH au chapitre des buts en 1992-93, quand il en a marqué 76 avec les Sabres de Buffalo. Les seuls qui avaient fait mieux à ce chapitre avaient été Wayne Gretzky avec les Oilers d’Edmonton (92 en 1981-82 et 87 en 1983-84), Brett Hull avec les Blues de St. Louis (86 en 1990-91) et Mario Lemieux avec les Penguins de Pittsburgh (85 en 1988-89).

Au bout du compte, Mogilny a récolté 1032 points (473 buts, 559 passes) en 990 rencontres avec les Sabres, les Canucks de Vancouver, les Devils et les Maple Leafs. Il a remporté la Coupe Stanley avec Brodeur et les Devils en 1999-2000 ainsi que la médaille d’or avec l’Union soviétique aux Jeux olympiques de 1988 à Calgary et au Championnat mondial de 1989, ce qui lui a permis de rejoindre les rangs du Club Triple Or de la FIHG.

Ce faisant, il a réalisé tout cela de façon spectaculaire.

« Il pouvait changer le cours d’un match, a indiqué Brodeur. Il avait une perception du jeu que peu de joueurs avaient. Et quand il en avait l’occasion, il faisait en sorte que ça compte. Ayant été son coéquipier et son adversaire, une chose qui ressortait chez lui, c’est qu’il ne ratait jamais le filet. Il tirait profit de ses occasions.

« C’était aussi un excellent coéquipier. Je me souviens qu’il laissait toujours son bâton au même endroit. Il connaissait une séquence de 13 matchs (avec au moins un point) et, un jour, le soigneur a mis le pied sur son bâton et l’a brisé de façon accidentelle. Bien des joueurs superstitieux se seraient mis en colère. Mais Alex a juste ri. Il était comme ça.

« Je suis tellement content pour lui. »

mogilny

Quand on y regarde de plus près, Mogilny sera toujours associé à Pavel Bure et Sergei Fedorov, ses illustres compagnons de trio avec l’équipe nationale junior de l’Union soviétique.

Bure a été élu au Temple de la renommée en 2012 après avoir amassé 779 points (437 buts, 342 passes) en 702 matchs dans la LNH, soit 288 rencontres de moins que Mogilny.

Fedorov a été intronisé en 2015 après avoir inscrit 1179 points (483 buts, 696 passes) en 1248 affrontements, ce qui représente une moyenne de 0,95 point par rencontre pour l’ensemble de sa carrière. Mogilny a beaucoup mieux fait à ce chapitre avec une moyenne de 1,04 point par match.

Et maintenant, 10 ans après l’intronisation de Fedorov, Mogilny ira rejoindre ses deux coéquipiers des rangs juniors au Temple avec la prestigieuse cohorte de 2025 qui comprend aussi Zdeno Chara, Joe Thornton, Duncan Keith, Jennifer Botterill et Brianna Decker dans la catégorie des joueurs, de même que Jack Parker et Danièle Sauvageau chez les bâtisseurs.

Au-delà des statistiques, il y a eu et il continue d’y avoir très peu de joueurs qui peuvent amener les partisans à se lever de leurs sièges chaque fois qu’ils prennent possession de la rondelle, l’attente que quelque chose de spectaculaire se produise étant toujours bien présente. C’est là un des impondérables qu’on retrouve chez bien des membres du Temple de la renommée. Et c’est là une qualité que Keith se souvient très bien d’avoir vue chez Mogilny.

« Dans le cas d’Alex, j’ai passé ma jeunesse à le regarder jouer, a raconté Keith. Je me souviens d’être allé à des matchs des Canucks de Vancouver, de l’avoir regardé jouer et d’avoir constaté à quel point il était remarquablement rapide.

« J’étais assis tout en haut dans les dernières rangées et il se démarquait en raison de sa vitesse et de son talent. Je me souviens clairement d’avoir réalisé à quel point il était bon en personne. Tu le vois à la télé aussi, mais c’était complètement autre chose quand tu assistais à ses performances en personne.

« C’est un immense honneur d’être intronisé aux côtés de tout le monde et Alex fait partie de ce groupe prestigieux. Il est probablement content d’avoir été élu, enfin, et c’est particulièrement cool de faire mon entrée à ses côtés. »

Et pas seulement en raison des exploits que Mogilny a réalisés sur la glace. Car en dehors de la patinoire, il a aidé à ouvrir la voie pour que des joueurs russes comme Bure et Fedorov puissent s’amener dans la LNH.

Les Sabres avaient utilisé un choix de cinquième ronde (le 89e au total) lors du repêchage 1988 de la LNH pour réclamer le rapide ailier. Il est ensuite devenu le premier joueur soviétique à faire défection dans la LNH en 1989, le tout survenant pendant que le Championnat mondial de la FIHG se déroulait en Suède.

Quinze ans plus tard, Mogilny était de retour à Stockholm en 2004 pour un camp d’entraînement des Maple Leafs et deux matchs préparatoires contre des équipes de club de la Suède au Globen Arena, qui s’appelle maintenant l’Avicii Arena. À un certain moment, au cours d’une entrevue individuelle qu’il m’accordait, il a pointé en direction d’une porte de l’aréna et a affirmé que c’est par là qu’il s’est enfui pour faire défection.

C’était, avec le recul, une importante page d’histoire du hockey.

Tout comme l’était l’annonce de mardi, quand le Temple de la renommée du hockey lui a enfin ouvert ses portes.

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