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TORONTO — Le plus grand moment de la vie de François Gagnon, aux dires du principal intéressé, impliquait de la glace.

Et le monde du hockey.

Mais ce n’est probablement pas ce que vous pensez.

Oui, Gagnon sera honoré par le Temple de la renommée du hockey, lundi, en tant que gagnant du prix Elmer-Ferguson, remis annuellement à un membre de l’industrie de la radio ou de la télévision qui a légué une contribution extraordinaire à sa profession et au hockey.

Mais s’il y avait un Temple de la renommée des héros, il y aurait été intronisé il y a presque 40 ans.

Comme n’importe qui ayant contribué à sauver une vie.

C’est précisément ce que Gagnon a fait lors d’un matin glacial de janvier 1988.

Ce jour-là, Monique Boudrias, la sœur d’André Boudrias, directeur général adjoint chez les Canadiens de Montréal à l’époque, conduisait sur le pont qui relie Gatineau et Hull.

Durant la nuit, un véhicule avait fait une sortie de route sur ce même pont en raison de la glace et avait terminé sa course dans la rivière gelée. Le conducteur, un homme, avait été secouru des eaux glaciales par les pompiers. Frankie, le surnom que ses amis et collègues lui donnent encore aujourd’hui, était alors un jeune journaliste affecté à la circulation à l’émission du matin sur les ondes de la station de radio CKCL à Ottawa. Il était en reportage sur les lieux de l’accident quand, soudainement, il a vu le Jeep de Monique Boudrias effectuer la même embardée.

« J’étais en direct à la radio et j’ai vu son véhicule tomber en bas du pont, s’est remémoré Gagnon. J’ai appelé les services d’urgence et j’ai dit : “Ce n’est pas une blague. Ça vient de se reproduire sous mes yeux.” Et j’ai fait mon reportage.

« Puis, j’ai vu la femme sortir de l’eau, au beau milieu du trou dans la glace causé par l’impact de son camion. J’ai raccroché et je me suis dit : “Je m’en vais sur la glace. Je vais tenter de la secourir.” »

Heureusement, quelqu’un dans le coin avait entendu le reportage de Gagnon à la radio et était venu à la rescousse avec une longue corde. La glace était suffisamment épaisse pour permettre à Gagnon de s’approcher du trou où la femme se gardait à flots après être sortie de son véhicule.

« Mes mains étaient gelées, ses mains étaient gelées, a-t-il raconté. Je lui ai passé la corde autour des bras et je lui ai dit : “On va probablement te briser les deux bras, mais on va te sortir de là.”

« Et on l’a fait. »

Quand André Boudrias a appris comment Gagnon avait contribué à sauver la vie de sa sœur, il lui a offert ses billets pour un match des Canadiens au mythique Forum de Montréal.

Monique et André Boudrias étaient loin de se douter que le jeune Frankie, des années plus tard, allait devenir l’une des voix les plus respectées dans le monde du hockey, encore moins qu’il allait couvrir ces mêmes Canadiens.

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Monique est demeurée en contact avec Gagnon au cours des décennies suivantes. Il y a environ 10 ans, elle l’a invité à une cérémonie où elle recevait un doctorat universitaire honorifique. Durant son discours, elle a souligné que sans l’intervention de Frankie ce jour-là, elle ne serait pas là aujourd’hui pour accepter cet honneur. Elle ne serait pas là, point.

Aussi ému soit-il de recevoir le prix Elmer-Ferguson, Gagnon juge quand même que le plus grand moment de sa vie a été de sauver la vie de Monique.

« Rien ne va égaler ça, a-t-il dit. Quand tu y penses, tu dois être là en premier. Tu dois être chanceux. Tu dois être sur place. Et tout ce qui devait se produire s’est produit. La glace était suffisamment épaisse pour nous permettre de nous approcher d’elle. Elle a été chanceuse que la fenêtre côté conducteur se brise et qu’elle fasse face à la surface de l’eau, de façon à ce qu’elle puisse sortir. Parce qu’elle se préparait à mourir. »

Gagnon marque ici une pause, sa voix se brisant par l’émotion.

Voilà qui en dit long sur Frankie Gagnon, le gagnant du prix Elmer-Ferguson 2025. Et comment mieux décrire sa vie qu’en racontant comment il en a sauvé une autre?

Parce que ceux qui le connaissent savent ceci à propos de lui : ce jour-là sur la glace, il allait faire tout en son pouvoir pour aider Monique, peu importe les probabilités. C'est cette détermination implacable qui l’a poussé à suivre son rêve d’enfant d’un jour devenir journaliste sportif.

« Tout est lié au hockey, dit-il aujourd’hui. Monique était la sœur du DG adjoint des Canadiens. Ça ne s’invente pas! »

Tout comme la persévérance dont il a fait preuve dans son parcours pour devenir l’un des meilleurs de sa profession, une aventure qui a commencé lorsqu’il était jeune dans la région de Québec.

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Petit, il dévorait tous les livres de hockey qu’il pouvait trouver. Il regardait religieusement La soirée du hockey à Radio-Canada chaque samedi durant la saison. À cette époque, l’un des meilleurs amis de son père, Guy Lemieux, travaillait à la section des sports du Journal de Québec.

« Je lui ai dit que je voulais devenir journaliste sportif et couvrir le hockey, a mentionné Gagnon. Il m’a repris. Il m’a dit que je devais commencer par être journaliste d’abord. Ne te limite pas à l’écriture. Sois compétent à la télévision et à la radio aussi, peu importe ce que ça prend. Couvre n’importe quoi. Si tu le fais sans relâche, ça va te conduire au hockey. »

C’est bien ce qui s’est produit. Sa carrière lui a permis de couvrir les Canadiens au cours des trois dernières décennies, un parcours qui l’a conduit avec les journaux Le Droit, Le Soleil et La Presse. En 2013, il a été embauché à temps plein par la prestigieuse station de télévision RDS, pour qui il écrit des chroniques et effectue des reportages à la télé depuis.

L’un de ses collègues à RDS est l’ancien joueur et entraîneur des Canadiens Guy Carbonneau, lui-même intronisé au Temple de la renommée en 2019. Carbonneau s’est retrouvé des deux côtés des questions de Gagnon, comme interlocuteur et comme collègue. Il affirme que Gagnon a mérité le respect du monde du hockey grâce à sa rigueur et son honnêteté, même quand certains ne sont pas d’accord avec ce qu’il dit.

« Il est juste. Il l’a toujours été, a souligné Carbonneau. Tout le monde dans le hockey le connaît bien, surtout au Québec. Et il travaille tellement fort. Son enthousiasme et ses efforts envers le sport qu’il aime sont visibles chaque jour.

« Le seul sport qu’il aime peut-être plus est le golf. On est membres au même club, et sa passion pour le golf est semblable à celle qu’il a pour le hockey. »

Sa passion, on la ressent aussi lorsqu’il parle de sa famille : son épouse Marie-Claude Pilon, ses fils Étienne et Arnaud ainsi que sa fille Mathilde. Sans oublier son petit-fils Laurent.

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Sur la route du Temple, Gagnon a côtoyé certains des plus grands noms du sport, de Guy Lafleur à Wayne Gretzky en passant par Sidney Crosby. Il a déjà pris part à un match arbitré par le légendaire Maurice Richard. Mais quand on le questionne sur son moment le plus marquant, son entrevue la plus touchante comme journaliste sportif, il désigne une entrevue émotive avec le grand Jean Béliveau, une figure vénérée au Québec.

« M. Béliveau et moi avons parlé pendant environ 45 minutes là où se trouve aujourd’hui le Centre Bell, a raconté Gagnon. Son assistant a tenté de mettre fin à l’entrevue à quelques reprises et il répondait : “Non, on parle encore.” Il m’appelait Le p’tit gars de Québec, là où sa carrière a commencé.

« Il luttait contre le cancer à l’époque, et je faisais un reportage sur son combat. Et je me souviens de lui avoir dit : “M. Béliveau, s’il vient un jour où vous ne vous sentez plus assez fort pour combattre, retournez-vous. Parce qu’on est tous derrière vous à vous soutenir.”

« C’est probablement l’un des moments les plus touchants de ma carrière. »

La réponse de Béliveau? Un sourire. Et chaque fois qu’il croisait Gagnon par la suite, il allait lui dire quelques mots, avec la grande classe qu’on lui connaissait.

Lundi, la plaque de Frankie sera dans le même Grand Hall du Temple de la renommée que celles de Béliveau, Richard et Lafleur.

« C’est surréel, a-t-il dit. Je n’ai jamais été du genre à me vanter. J’ai toujours été un joueur d’équipe. Mais il y aura un moment où je dirai que j’ai mérité ça, que je suis fier de moi. »

Comme tout héros dans la vie, il devrait l’être.