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Cette fois, c'est la bonne. Après de nombreux mois de préparation, marqués par des rumeurs de présentation du repêchage au début et à la fin du mois de juin, les équipes de recrutement des 31 équipes de la LNH passeront finalement à l'action dans quelques jours.

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Et ce n'est pas parce que la grande majorité des espoirs admissibles n'ont pas foulé la glace depuis le mois de mars que les départements de recherche de talent ont pris une pause. Loin de là. Vidéos, analyses, discussions en équipe, élaboration et modification de listes, les recruteurs n'ont pas chômé.
« De mars à la mi-juillet, je recevais environ 10 à 12 vidéos chaque semaine et nous faisions ensuite une réunion virtuelle pour en discuter, a expliqué Denis Fugère, des Kings de Los Angeles. Contrairement aux années passées, toute l'équipe a vu tous les joueurs qui sont sur notre liste au moins une fois, en vidéo du moins. »
Ces listes contiennent souvent plus d'une centaine de noms. Vous comprendrez donc que cette cuvée 2020, que l'on identifie depuis plusieurs années comme l'une des meilleures des dernières années, aura eu toute l'attention qu'elle méritait. Plus encore. Et peut-être même trop.
« Est-ce que c'est mieux? », s'est questionné Jean-Philippe Glaude, des Predators de Nashville.
« À un moment donné, tu revois des détails tellement précis qu'on dirait que tu perds de l'intérêt. Ça n'a pas de bon sens. On décortique bien trop leur jeu en vidéo. Il faut se garder une certaine distance, sinon ce n'est plus un jeu d'instinct, les joueurs deviennent des robots. Trop c'est comme pas assez. Il faut doser. »
Doser. C'est exactement le mot qui est ressorti des conversations avec les acteurs québécois du milieu au fil des nombreux mois d'attente.
Parce que l'analyse vidéo fait partie des outils mis à la disposition des recruteurs depuis de nombreuses années. Elle a simplement pris toute la place dans les derniers mois puisque les arénas du monde entier étaient cadenassés à double tour en raison de la pandémie.
« Il reste qu'à un moment donné, il faut tracer la ligne, a fait valoir Luc Gauthier, des Penguins de Pittsburgh. Il ne faut pas réinventer les choses qu'on a vues en personne pendant la saison. Oui, les vidéos peuvent nous apporter quelque chose, mais ça reste un outil comme les autres. Il faut faire la part des choses. »
Gauthier, qui est dans le domaine depuis une vingtaine d'années, parle en connaissance de cause. Cette année exceptionnelle et ces mois supplémentaires de préparation lui ont ramené à l'esprit un piège dans lequel il était tombé à ses premières années, et qui guettait le milieu en vue de cet encan.
« Je travaillais pour les Predators à l'époque du repêchage de Vincent Lecavalier en 1998, a-t-il raconté. Je commençais et je manquais un peu d'expérience. Je l'avais tellement vu pendant la saison que je me suis mis à lui trouver des défauts. Il n'était pas parfait, mais il ne faisait pas autant d'erreurs que ce que je voyais. Il a fallu que je prenne un peu de recul.
« À force de voir le même joueur, on gratte le bobo, mais des fois, c'est toi qui crées le bobo. Ça peut arriver de suranalyser un joueur, mais il y a assez de gars d'expérience dans notre milieu pour mettre les freins. La vidéo, ce n'est pas un match en direct. Il faut faire attention et bien doser les choses. »
« Le recrutement est un travail d'opinion, et l'opinion change avec le temps, a renchéri Fugère. Ça te joue dans le coco. Quand tu en as trop sur un joueur, ça peut avoir des incidences dans ta préparation. Si tu l'as vu jouer 12 fois, ça se peut que tu commences à voir plus ses défauts, et moins ses qualités. »
Assez de données
Dans tout cet enchaînement d'annulations, les séries éliminatoires des différentes ligues juniors au monde sont passées à la trappe, tout comme le Championnat mondial des moins de 18 ans - un tournoi très couru par les dépisteurs puisqu'il rassemble les meilleurs espoirs de quelques pays à la fin de l'année.
« On aime voir comment un joueur réagit en séries ou pouvoir le comparer à des Européens au [tournoi des] moins de 18 ans, a reconnu Glaude. Reste que les séries ne vont pas nécessairement lui faire perdre des rangs. À l'inverse, si un joueur performe bien dans des conditions spéciales, ton appréciation peut augmenter. »
Si la fin de la saison est tombée à l'eau, on se réjouit au moins du fait que l'interruption soit survenue après déjà plusieurs mois d'évaluation. L'impact de ces annulations est donc moins important que ce qu'on pourrait penser.
« Le gros du travail était fait, a fait valoir Gauthier. On a été chanceux que ça n'arrive pas en novembre parce qu'il nous aurait manqué des données. Nous avions assez de données pour prendre de bonnes décisions et bâtir quelque chose de solide.
« Les séries et le tournoi des moins de 18 ans, ce sont d'autres outils qu'on prend en considération. La grosse partie de notre ouvrage c'est de les voir sur le terrain, dans leur environnement. Ça, c'est un gros bagage d'informations. »
Et dans ce bagage, le recruteur a souvent déjà flairé quels joueurs ont le caractère nécessaire pour livrer la marchandise une fois en séries ou dans les moments tendus.
« Un joueur qui compétitionne, il n'y a pas un interrupteur là-dessus, a lancé Fugère. J'ai de la misère à voir comment un gars peut devenir un compétiteur en séries sans l'avoir été en saison. S'il a ça en lui, tu vas l'avoir vu avant le début des séries. »