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Dominik Hasek se rappelle qu'il était à la maison en République tchèque il y a 30 ans, le 7 août 1992, et qu'il était sur le point de se rendre au cinéma en ce vendredi soir.

Il était en train de lacer ses chaussures lorsque le téléphone a sonné. Hésitant à décrocher le combiné, il n'avait aucune idée que cet appel allait dramatiquement changer sa carrière dans la LNH et le placer sur la route du Temple de la renommée du hockey.
Au bout du fil, de l'autre côté de l'océan Atlantique, l'agent de Hasek, Ritch Winter, a informé le gardien qu'il venait d'être échangé aux Sabres de Buffalo par les Blackhawks de Chicago. En retour, Chicago mettait la main sur le gardien Stéphane Beauregard et un choix de quatrième ronde au repêchage 1993. À l'époque, Hasek n'avait que 25 matchs d'expérience en saison régulière dans la LNH.
« Je pense que le film que j'allais voir était Basic Instinct en anglais avec des sous-titres en tchèque, mais je n'en suis pas sûr à 100 pour cent », a lancé Hasek au téléphone la semaine dernière, depuis sa voiture près de Prague. « Pour être honnête, après cet appel, je n'ai pas beaucoup porté attention au film.
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« Je pense que cette transaction a complètement changé ma carrière et ma vie, qui est bien sûr liée à ma carrière, même si ça ne s'est pas fait immédiatement. Je ne m'attendais pas à ce qui s'est produit au cours des années suivantes à Buffalo. »
Ce qui s'est produit, c'est que Hasek a rapidement prouvé qu'il était l'un des plus grands gardiens de l'histoire de la LNH.
Son histoire est encore plus remarquable quand on considère qu'il a été repêché en 10e ronde (199e au total) en 1983 par les Blackhawks.
Trois décennies après l'une des plus importantes transactions dans l'histoire de la Ligue, le natif de Pardubice, en République tchèque, affirme qu'il n'avait aucune idée qu'il était sur le radar des Sabres. Le directeur général des Sabres à l'époque, Gerry Meehan, avait mentionné qu'il travaillait depuis plusieurs mois avec Chicago pour conclure une transaction.

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« Je ne le savais pas du tout », a assuré l'homme de 57 ans, qui allait être surnommé le Dominator à Buffalo et pour la suite de sa carrière. « Je ne lisais pas les journaux à Chicago parce que je ne comprenais pas beaucoup l'anglais. Je n'avais entendu aucune rumeur. Plus tard, j'ai appris que c'était probablement John Muckler (l'entraîneur) et Gerry Meehan qui avaient fait cette transaction ensemble. »
Ce qui a convaincu les Sabres a certainement été la performance du gardien dans le match no 4 de la finale de la Coupe Stanley contre les Penguins de Pittsburgh. Il était venu en relève à Ed Belfour pendant 53:27 dans un revers de 6-5, qui avait officialisé le balayage des Penguins.
« J'ai entendu dire que ma performance dans le dernier match contre Pittsburgh est quelque chose qui a conduit à cette transaction », a raconté Hasek.
Chicago avait besoin d'offensive, et le DG des Blackhawks Mike Keenan convoitait l'attaquant des Sabres Christian Ruuttu. Mais les Sabres ont envoyé Ruuttu aux Jets de Winnipeg en retour de Beauregard le 15 juin 1992.

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La complexe transaction de Hasek allait être conclue près de deux mois plus tard, quand Beauregard a été envoyé aux Blackhawks avec le choix qui est devenu l'attaquant Éric Dazé. Chicago a ensuite échangé Beauregard aux Jets en retour de Ruuttu le 10 août.
Essentiellement, la transaction a été Ruuttu aux Blackhawks en retour de Hasek, qui allait devenir un pilier des Sabres.
Il y a 30 ans, Hasek avait une meilleure idée de ce qui l'attendait que neuf ans auparavant, alors que sa sélection au repêchage par les Blackhawks a été pratiquement un mystère.
Il se rappelle qu'il était en France durant l'été 1983 afin de disputer des matchs hors-concours, à l'âge de 18 ans avec son équipe de Pardubice. Il feuilletait des magazines dans un kiosque lors d'une journée de congé avec son ami et coéquipier Frantisek Musil.

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« "Frank" parlait anglais, mais pas moi. J'avais appris le russe et l'allemand à l'école, s'est remémoré Hasek. Il a pris un exemplaire du Hockey News et il a découvert avec joie qu'il avait été repêché par les North Stars du Minnesota (deuxième ronde, 38e au total). Je lui ai dit que j'étais content pour lui, et environ 30 secondes plus tard, il m'a lancé : "Dom, tu as été repêché toi aussi!"
« Pour dire la vérité, je n'en avais rien à cirer. Il m'a dit que j'avais été repêché par les Blackhawks de Chicago, mais ce n'était rien d'important pour moi. Je ne savais pas ce que ça signifiait. Je vivais une vie différente. Il n'y avait pas d'internet, pas de nouvelles de la LNH dans les journaux tchèques, contrairement à aujourd'hui.
« Le monde est différent maintenant. En 1983, j'étais un jeune homme heureux qui en était à sa dernière année à l'école secondaire, ou peut-être que je venais de la terminer. Je jouais avec l'équipe nationale junior et l'équipe nationale masculine. Je n'avais pas de voiture, mais j'avais une moto. Elle n'allait pas plus vite que 40 km/h, mais j'étais heureux. »

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Hasek est resté dans son pays natal jusqu'à ce qu'il fasse le saut dans la LNH à l'âge de 25 ans, non sans hésiter. Il a disputé cinq matchs avec les Blackhawks lors de la saison 1990-91. À ses débuts dans la LNH, le 6 novembre 1990, il a effectué 28 arrêts dans un verdict nul de 1-1 contre les Whalers de Hartford.
Il a passé la majeure partie de cette saison-là et la suivante avec l'Ice d'Indianapolis, dans la Ligue internationale de hockey, remettant chaque jour en question sa décision de venir en Amérique du Nord. Mais dans son discours d'intronisation au Temple de la renommée en 2014, Hasek a affirmé que son passage à Indianapolis avait été formateur. En tant que nouveau joueur professionnel, il y a appris de précieuses leçons.
Il a joué 20 rencontres avec les Blackhawks en 1991-92, réalisant notamment 21 arrêts acrobatiques sur 25 tirs dans le match no 4 de la finale contre les Penguins le 1er juillet. Il s'agissait de la première partie de Hasek depuis une défaite en deuxième prolongation contre les Blues de St. Louis en première ronde, le 22 avril.
« C'est la meilleure chose qui pouvait m'arriver », dit aujourd'hui Hasek au sujet du match contre les Penguins et de la transaction survenue deux mois plus tard. « Je ne m'attendais pas à ce que ça change complètement ma carrière, mais c'est ce qui s'est produit en l'espace de quelques années. Parfois, certaines choses auxquelles tu ne penses pas trop peuvent changer ta vie complètement. Ce match contre Pittsburgh en fait partie pour moi.

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« Buffalo était probablement le meilleur endroit pour moi. J'aimais la communauté. Ce n'est pas une grande ville, mais les gens là-bas adorent le hockey. Ça me rappelait un peu Pardubice. Buffalo n'est peut-être pas la plus grande ville de hockey au monde, comme le sont New York, Chicago, Detroit et Montréal, mais je pense que je cadrais parfaitement là-bas. »
Hasek se souvient comme si c'était hier du sentiment d'appartenance qu'il avait envers Buffalo. Avant le début de son premier camp d'entraînement - à l'approche de la saison 1992-93, où la charge de travail allait être répartie de manière presque égale entre Hasek, Grant Fuhr et Daren Puppa - le gérant d'équipement Rip Simonick s'est assis à côté de lui à l'aréna d'entraînement des Sabres, à Wheatfield, dans l'État de New York, pour lui demander quel numéro il préférait.
« C'est un geste que je n'oublierai jamais, a dit Hasek. Ça montrait que Buffalo croyait véritablement que j'étais l'homme de la situation. C'est la première fois de ma vie qu'on me demandait quel numéro je voulais porter. »
Hasek a choisi le numéro 39 pour des raisons très personnelles. Il avait porté le 9, un numéro rare pour un gardien, pendant neuf ans en République tchèque. On lui avait donné ce numéro à Pardubice quand un défenseur avait été incapable de jouer.

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« J'avais déjà porté le 1 ou le 2, je ne me souviens plus, mais j'avais 16 ans quand ils m'ont attribué le 9, puis ils me l'ont redonné la saison suivante sans raison, a-t-il raconté. J'avais bien joué en portant le numéro 9 en République tchèque, donc je voulais garder une partie de ce numéro. J'ai dit à Rip d'ajouter un 3 avant le 9 afin de faire quelque chose d'un peu différent dans la LNH. »
Hasek a été le cinquième et dernier joueur des Sabres à porter le 39, son numéro ayant été retiré par l'équipe le 13 janvier 2015. C'est survenu un an après son intronisation au Temple de la renommée du hockey et le retrait de son numéro 9 par l'équipe de Pardubice.
Plusieurs des exploits de Hasek ont été soulignés à Buffalo ce soir-là. En 1993-94, la deuxième de ses neuf saisons avec les Sabres, il a conservé un dossier de 30-20-6 pour remporter le trophée Vézina, à titre de meilleur gardien de la LNH, et le trophée William M. Jennings (avec Fuhr), remis aux gardiens de l'équipe ayant accordé le moins de buts. Ce fut la première de ses six conquêtes du Vézina, toutes avec les Sabres, et la première de ses trois conquêtes du Jennings - il l'a gagné de nouveau avec Buffalo en 2000-01 et une autre fois avec les Red Wings de Detroit en 2007-08.
Hasek a mené la LNH avec une moyenne de buts alloués de 1,95 lors de la saison 1993-94 et égalé Belfour et Patrick Roy avec sept blanchissages, un sommet dans la LNH.
Il a ensuite été un joueur clé dans le parcours des Sabres jusqu'en finale de la Coupe Stanley 1999 contre les Stars de Dallas. Ces derniers ont remporté les grands honneurs en six rencontres avec Belfour, l'ancien coéquipier de Hasek à Chicago, devant le filet.

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« Comme gardien, la chose la plus importante pour moi était de sentir que l'équipe croyait en moi, a indiqué Hasek. L'entraîneur, l'organisation… Tu sens qu'ils croient en toi et que tu es l'homme de la situation devant le filet. Cette saison m'a défini, oui. Soudainement, j'ai commencé à sentir que l'organisation croyait que j'étais son homme.
« Mais je ne peux pas cibler une saison qui a été ma meilleure. La plupart de mes saisons ont été parmi les meilleures de ma vie. C'est ce que je ressens à propos de ma carrière. Gagner la Coupe Stanley deux fois avec Detroit, afficher la meilleure moyenne de buts alloués ou le meilleur pourcentage d'arrêts, gagner les trophées Hart et Vézina, peu importe. Ç'a été une saison décisive, bien sûr, mais je pense que ç'a été seulement l'une des nombreuses bonnes saisons que j'ai eues. »
La saison 1993-94 n'était que le début à Buffalo. Hasek a gagné le trophée Vézina six fois en l'espace de huit ans jusqu'en 2000-01, ce qui le place au deuxième rang à ce chapitre derrière Jacques Plante, qui l'a gagné sept fois avant l'ère de l'expansion.
Hasek a remporté le trophée Hart, remis au joueur le plus utile à son équipe en vertu d'un scrutin effectué auprès de l'Association professionnelle des journalistes attitrés au hockey (PHWA), en 1997 et 1998. Il est le seul gardien à avoir gagné deux fois ce trophée.

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À l'issue de ces deux campagnes, il a également remporté le trophée Lester B. Pearson (aujourd'hui appelé trophée Ted Lindsay), à titre de meilleur joueur selon les membres de l'Association des joueurs de la LNH (AJLNH).
Une transaction l'a ensuite envoyé aux Red Wings le 1er juillet 2001, et Hasek a remporté deux championnats avec eux, en 2002 et 2008 à sa dernière saison. Il a également disputé une campagne avec les Sénateurs d'Ottawa en 2005-06, après une retraite d'un an.
Hasek a accroché ses jambières avec une fiche de 389-223-13 et 82 verdicts nuls, une moyenne de 2,20, un taux d'efficacité de ,922 et 81 jeux blancs en 735 parties. Il a été le meneur de la Ligue au chapitre du pourcentage d'arrêts dans six saisons consécutives (1993-94 jusqu'à 1998-99).
En séries éliminatoires de la Coupe Stanley, il a conservé un dossier de 65-49 avec une moyenne de 2,02, un taux d'efficacité de ,925 et 14 blanchissages.
Et avec tout ça, on n'a pas encore parlé de ses performances avec la République tchèque sur la scène internationale. Il a notamment été un pilier du parcours de son pays jusqu'à la médaille d'or lors des historiques Jeux olympiques 1998 de Nagano, alors que les joueurs de la LNH y participaient pour la première fois.

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« J'ai fini d'être gardien », a-t-il lancé en riant, après avoir joué deux autres saisons en Europe après sa carrière dans la LNH. « Je vais être heureux d'être défenseur dans ma ligue de garage. »
Les exploits de Hasek dans la LNH sont hallucinants.
Il détient les records des Sabres pour les blanchissages en carrière (55), le pourcentage d'arrêts (,926; minimum 100 matchs) et la moyenne de buts alloués (2,22; minimum 100 matchs), et il prend le deuxième rang pour les victoires (234), derrière Ryan Miller (284).
Ses 389 victoires dans la LNH le placent au deuxième rang parmi les gardiens européens, derrière Henrik Lundqvist (459).
Durant ses neuf saisons avec Buffalo, Hasek a été le meneur parmi tous les gardiens de la LNH au chapitre du taux d'efficacité et des blanchissages (minimum 50 parties jouées).
Enfin, il est le seul gardien repêché en 10e ronde ou après à avoir atteint le plateau des 300 gains.
Il a aussi représenté la République tchèque dans quatre tournois olympiques, dans trois tournois de la Coupe Canada, à cinq reprises au Championnat du monde sénior de la FIHG et deux fois au Championnat mondial junior de la FIHG. Sans surprise, il a été intronisé au Temple de la renommée de la Fédération internationale de hockey sur glace en 2015.

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Tout ça fait partie de l'héritage de ce brillant athlète, qui n'avait aucune idée que le 30e anniversaire de la transaction qui l'a envoyé à Buffalo approchait jusqu'à ce qu'il reçoive un appel dans sa voiture la semaine dernière.
« J'apprécie qu'on me le rappelle, mais honnêtement, je vis dans le présent, pas dans le passé », a dit Hasek, dont les trophées et souvenirs de hockey ne sont pas chez lui, mais plutôt au Temple de la renommée du hockey tchèque à Prague.
Mais Hasek parle avec énormément de respect au sujet deux cadres qui sont accrochés aux murs chez lui : une peinture autographiée à l'effigie de la célèbre French Connection des Sabres, composée de Gilbert Perreault, de Richard Martin et de René Robert, et une photo des légendes des Red Wings Gordie Howe et Steve Yzerman, assis ensemble sur le banc de Detroit.
« J'ai acheté la photo de Gordie et de Stevie parce qu'ils sont deux personnes extraordinaires, a dit Hasek. J'ai eu la chance de rencontrer Gordie plusieurs fois, et Stevie était mon capitaine à Detroit.

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« J'ai décidé d'acheter cette photo parce que je les admire, tout comme j'admire la French Connection. J'ai des souvenirs de tous les gens à Buffalo qui m'ont aidé, qui ont fait partie de mes succès pendant neuf ans - la direction, mes coéquipiers, les partisans. »
En 2001, il a lancé Hasek's Heroes, un programme de hockey pour les jeunes de milieux défavorisés à Buffalo et dans la région. L'initiative a été renforcée une décennie plus tard, puisqu'elle œuvre maintenant en partenariat avec la Fondation des Sabres de Buffalo.
« Je ressens encore plus le lien avec Buffalo en raison du programme de hockey qui se poursuit », a expliqué Hasek, qui retourne dans la ville de l'État de New York au moins une fois par année pour superviser le programme et s'assurer qu'il fonctionne bien.
Il est devenu pensif quand il a réfléchi à l'état du monde actuellement.
« Si quelque chose se produit en Europe, et nous connaissons la situation en Ukraine… », a lancé Hasek, laissant cette pensée en suspens. « Je veux être positif, mais avec ce qui se passe là-bas, on ne sait jamais ce qui pourrait se produire plus tard.
« Je sais que j'ai un endroit où aller si je me sens en danger. Buffalo est l'endroit où je retournerais. C'est ma deuxième maison. »
Photo principale : Courtoisie de Dominik Hasek