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DETROIT - La séquence est terminée. Pour la première fois depuis la saison 1989-90, les Red Wings de Detroit ont raté les séries éliminatoires de la Coupe Stanley.

Et chez tous ceux qui sont concernés, c'est une constatation qui fait mal.
Les Red Wings ont établi des nouveaux standards d'excellence durant ce parcours où ils ont participé aux séries pendant 25 années de suite. Personne ne voulait être accusé de ne pas être à la hauteur. Certains ne savent pas trop comment réagir parce que c'est la première fois de leur carrière qu'ils ne participeront pas aux séries.
« Pour le moment, c'est difficile d'en parler », a déclaré le capitaine Henrik Zetterberg, qui avait pris part aux séries à chaque printemps depuis qu'il a fait ses débuts dans la LNH avec les Red Wings, en 2002-03. « Parce que c'est toi qui est en grande partie à blâmer pour la fin de cette séquence. »
À vrai dire, Zetterberg n'est pas à blâmer. Il a connu une excellente saison sur le plan individuel. Sauf qu'il se pointe du doigt quand même. C'est lui le chef de file, et comme il l'a souligné tout au long de la saison, le but n'était pas de se qualifier pour les séries juste dans le simple plaisir de prolonger la séquence. Le but, c'était d'aspirer à la conquête de la Coupe.
« C'est [dommage] qu'il n'y aura pas de hockey des séries », a déclaré l'adjoint au directeur général Kris Draper, qui a pris part aux séries à chacune de ses saisons avec les Red Wings, de 1993-94 à 2010-11. « Je me souviens qu'à l'époque où j'étais joueur, le Tournoi de la NCAA, le Tournoi des Maîtres et les matchs éliminatoires des Red Wings, c'était ma période favorite de l'année. »
Maintenant, on a l'impression qu'on n'entendra pas la musique de « One Shining Moment » à la fin de la couverture télévisée du Tournoi de la NCAA ou qu'il n'y aura pas d'azalées en fleurs à Augusta. Personne ne lancera de pieuvres sur la patinoire du Joe Louis Arena après le dernier match du calendrier régulier, qui aura lieu le 9 avril contre les Devils du New Jersey - une tradition amorcée il y a des lunes parce que les huit pattes d'une pieuvre représentaient les huit victoires qu'il fallait enregistrer pour remporter la Coupe.
Mais les séries éliminatoires n'étaient pas un rite consacré du printemps à Detroit. On avait seulement l'impression que c'était le cas. La situation actuelle était inévitable, la séquence a duré bien plus longtemps qu'on aurait pu s'y attendre ; et maintenant que c'est fini, il faut mettre le tout en perspective et apprécier l'exploit à sa juste valeur. La LNH risque de ne plus jamais voir quelque chose du genre se réaliser.
« Personne n'est content quand tu ne participes pas aux séries », a affirmé le vice-président principal Jimmy Devellano, qui œuvre chez les Red Wings depuis que le regretté Mike Ilitch a acheté l'équipe en 1982. « Mais comme j'ai dit à nos gens, nous ne sommes pas seuls. Seize équipes y accèdent. Quatorze équipes n'y parviennent pas. Nous avons donné aux partisans du hockey formidable pendant un quart de siècle.
« Il fallait que ça arrive un jour. Il fallait que ça arrive. »
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Songez un instant au temps qui s'est écoulé depuis que les Red Wings ont raté les séries pour la dernière fois. Vous lisez ceci sur le web, qui n'existait pas à l'époque.
La formation des Red Wings en 1989-90 était notamment composée de Jimmy Carson, Bernie Federko, Gerard Gallant, Adam Graves, Petr Klima, Jim Nill, Bob Probert et Borje Salming. Steve Yzerman, le capitaine, avait 24 ans. Colin Campbell était entraîneur adjoint.
Les Red Wings ont affiché un dossier de 28-38-14 - ce dernier chiffre représentait les nulles, et non les défaites en prolongation. Ils ont récolté 70 points au classement, bon pour le dernier rang dans la section Norris et l'avant-dernier rang dans l'Association Campbell.
Aucun joueur qui évolue dans la LNH à l'heure actuelle ne s'alignait avec une équipe de la LNH à l'époque, pas même Jaromir Jagr. Neuf des concessions qu'on retrouve dans la LNH en ce moment n'étaient pas dans la LNH, 10 si vous ajoutez les Golden Knights de Las Vegas, qui commenceront à jouer la saison prochaine.
L'entraîneur actuel Jeff Blashill avait 16 ans quand les séries ont commencé sans les Red Wings en avril 1990. Quinze joueurs qui ont participé à un match des Red Wings cette saison n'étaient pas encore nés.
Maintenant, pensez à ce que les Red Wings ont accompli au fil des 25 saisons suivantes, ce qui représente un quart du Centenaire que la LNH célèbre cette année.
Ils ont remporté la Coupe Stanley à quatre reprises, un sommet à égalité avec les Penguins de Pittsburgh durant cette période, et ils sont venus à un match près d'en remporter une cinquième quand ils se sont inclinés lors du septième match de la Finale de 2009, devant les Penguins. Ils se sont rendus jusqu'en Finale en six occasions.
Ils ont remporté le Trophée des Présidents six fois, soit trois fois plus que toute autre équipe durant cette période. Ils ont remporté 1133 matchs du calendrier régulier, 104 de plus que toute autre équipe, et ils ont amassé 2536 points au classement, soit 209 de plus que toute autre équipe.
Ils ont établi des records pour les victoires en une saison (62 en 1995-96), les victoires à l'étranger en une saison (31 en 2005-06), les victoires consécutives en une saison (12 en 2005-06) et les victoires consécutives à domicile (23 en 2011-12), tandis qu'ils ont égalé le record des victoires à domicile en une saison (36 en 1995-96).
Pendant 21 saisons, ils ne sont même pas venus près de rater les séries. Ils ont terminé parmi les quatre premiers dans leur association 18 fois et ils ont profité d'un coussin d'au moins 12 points les trois autres fois. C'est seulement lors des récentes saisons qu'ils ont dû batailler fort pour accéder aux séries.
« Certains de ces jeunes, c'est la seule chose qu'ils connaissent », a noté Draper, en désignant les gradins du Joe Louis Arena. « Certains de ces jeunes ont grandi et ils ont juste connu ça, le hockey des séries des Red Wings, les succès et les Coupes Stanley, les séquences… C'est incroyable quand on y pense. »
La séquence des Red Wings n'est pas la plus longue dans l'histoire de la LNH. Les Bruins de Boston ont participé aux séries 29 fois de suite de 1967-68 à 1995-96. Les Blackhawks de Chicago y sont arrivés 28 fois de suite de 1969-70 à 1996-97. Les Blues de St. Louis ont également connu une séquence de 25 années de suite, de 1979-80 à 2003-04.
Mais la séquence des Red Wings a peut-être été la plus impressionnante. Dans les faits, il s'agissait de deux séquences en une.
Les bases de la première reposaient sur Yzerman, Sergei Fedorov et Nicklas Lidstrom, que les Red Wings ont entouré de solides joueurs de soutien, dont plusieurs ont abouti au Temple de la renommée du hockey. L'équipe pouvait aussi miser sur Scotty Bowman, le plus grand entraîneur de l'histoire du hockey.
Les bases de la deuxième ont reposé sur Lidstrom, Pavel Datsyuk et Zetterberg. Datsyuk, un choix de sixième tour (171e au total) lors du repêchage 1998 de la LNH, est arrivé en 2001-02. Zetterberg, qui a été réclamé au septième tour (210e au total) à l'occasion de la séance de 1999, s'est amené la saison suivante, permettant ainsi aux Red Wings d'aligner deux joueurs de centre de premier plan sans avoir eu à utiliser des choix au repêchage au rang élevé.
Bowman a pris sa retraite en 2002. Fedorov a quitté en tant que joueur autonome en 2003. Yzerman a pris sa retraite en 2006.
« Juste au moment où tout le monde croyait que nous allions décliner, quand Sergei a quitté, quand Stevie se trouvait en fin de carrière, voilà que sont arrivés Pav et Z, a noté Draper. Incroyable. Ç'a nous a donné une autre poussée qui a duré 10 ans. »
Ça, et beaucoup de savoir-faire de la part des dirigeants. La LNH a mis en place le plafond salarial en 2005-06. Les Red Wings ont réduit leur masse salariale de moitié afin de respecter la limite de 39 millions $ et ils ont embauché l'entraîneur Mike Babcock.
« Tu ne savais pas à l'époque si ça allait être possible de faire en sorte que ça continue », a indiqué Babcock.
Mais les Red Wings y sont arrivés. Le directeur général Ken Holland s'est adapté au nouveau système et il a continué d'ajuster sa formation en conséquence. Seulement cinq joueurs ont fait partie de chacune des cinq équipes championnes de la Coupe Stanley en 1997, 1998, 2002 et 2008: Draper, Lidstrom, Tomas Holmstrom, Kirk Maltby et Darren McCarty.
« Il faut donner du crédit à Kenny Holland, a affirmé Draper. Je dirais que les années les plus cruciales de cette séquence sont survenues au moment où le plafond salarial est apparu. »
Lidstrom a pris sa retraite en 2012 et les Red Wings ont quand même continué à accéder aux séries. Babcock a quitté en 2014 et les Red Wings ont quant même ajouté une année à leur séquence. Datsyuk a quitté, et, eh bien… voilà que ça y est, c'est fini.
Jusqu'ici, les Red Wings étaient la seule équipe à avoir réussi à participer aux séries à chaque printemps depuis le début de l'ère du plafond salarial. La plus longue séquence appartient maintenant aux Penguins et elle s'élève à 11 saisons.
Les Penguins pourront-ils surpasser la séquence des Red Wings? Dans 15 ans, Sidney Crosby aura 44 ans. Evgeni Malkin aura 45 ans.
« Ça finit par te rattraper, et ç'a fini par nous rattraper, a déclaré Devellano. Pittsburgh doit le faire 15 fois encore. Crosby ne sera pas là. Malkin ne sera pas là. Qui va les remplacer au rang où ils repêchent? Je ne crois pas qu'ils y arriveront. Je ne leur souhaite pas de malheur, mais je ne vois pas comment ça pourrait arriver encore. »
C'est effectivement difficile de s'imaginer qu'il y aura une autre séquence du genre.
« Je ne sais pas, a lancé le directeur général des Penguins Jim Rutherford. Je veux dire, avec la parité qu'il y a dans la Ligue et le plafond salarial… C'est difficile d'accéder aux séries une année donnée, alors imaginez plusieurs années de suite. Difficile à dire si c'est possible d'y arriver. »
Et les Blackhawks? Dans 17 ans, Jonathan Toews et Patrick Kane auront tous deux 45 ans.
« Je ne sais pas si nous allons voir ça de nouveau, a affirmé le d.g. des Blackhawks Stan Bowman. Je ne sais pas si nous allons voir une concession se maintenir à un niveau aussi élevé pendant autant d'années. C'est à ça que nous aspirons, et nous n'avons même pas fait le tiers du chemin qu'ils ont franchi. »
Même si les Penguins et les Blackhawks peuvent remplacer les joueurs de leur noyau sans profiter de choix au repêchage au rang élevé, et qu'ils continuent de dénicher des perles rares comme le joueur autonome Artemi Panarin, ils devront composer avec le plafond salarial.
« Selon moi, le plus grand défi, c'est que tu ne peux plus garder tes joueurs, a noté Bowman. Tu ne peux pas toujours les obtenir au moyen de repêchage. Nous avons mis la main sur Panarin en tant que joueur autonome, alors qu'en raison de son talent, il est l'équivalent d'un joueur qu'on aurait repêché parmi les cinq premiers du premier tour. C'est formidable d'avoir ces joueurs, mais vient un jour où tu as presque l'impression que tu en as trop. Tu ne peux pas tous les payer.
« Le défi, c'est d'essayer de faire en sorte que ça continue. Je ne baisse pas les bras. Nous aspirons à être une équipe de premier plan et à le rester pendant des années et des années. C'est juste que c'est très difficile d'y arriver. »
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On a l'impression que c'est la fin d'une époque à Detroit, et c'est effectivement le cas. Le légendaire Gordie Howe est décédé le 10 juin. Le propriétaire Mike Ilitch est décédé le 10 février. La séquence est maintenant terminé et le Joe Louis Arena va fermer ses portes.
« C'est une année remplie d'émotions, pour bien des raisons », a noté Holland.
Mais la fin de la séquence ne signifie pas que c'est la fin des Red Wings. La séquence est le fruit qu'on a récolté en raison de la façon dont les Red Wings ont été bâtis, et c'est pourquoi ils ont bataillé aussi fort pour garder cette culture d'entreprise intacte. Ils savent que ce sera difficile de repêcher un joueur d'exception sans profiter d'un choix en haut de tableau ou du moins tout près, mais ils ne veulent pas non plus que la défaite devienne quelque chose d'acceptable. Ils ne veulent pas amorcer une reconstruction complète parce que cela peut prendre des années et qu'il n'y a aucune garantie qu'on verra un jour la lumière au bout du tunnel.
« Je ne crois pas qu'on peut planifier d'être mauvais pendant une certaine période de temps, puis se réveiller à l'autre bout et être bons, a dit Holland. Tu dois être mauvais la bonne année, et ensuite tu dois remporter la loterie.
« Alors, j'estime qu'il faut vouloir rivaliser. Nous voulons aspirer à une place en séries. Notre but, au moment d'entreprendre la saison morte, sera d'essayer de rassembler une formation qui aspirera à une place en séries. »
Les Red Wings alignent de jeunes joueurs talentueux tels que Andreas Athanasiou, Dylan Larkin et Anthony Mantha. Après s'être contentés de choix au repêchage tardifs durant 25 ans - en moyenne, leur premier choix s'est élevé au 38e rang en moyenne en raison de leurs succès et des transactions qu'ils ont complétées -, ils auront droit à un choix parmi les 10 premiers pour la première fois depuis 1990 ainsi qu'à sept choix parmi les 100 premiers. Ils joueront l'automne prochain au Little Caesars Arena, un spectaculaire amphithéâtre auquel on a greffé un centre d'entraînement, ce qui pourrait permettre d'attirer des joueurs autonomes.
Ils auront besoin de voir leurs jeunes joueurs continuer de progresser. Ils devront dénicher d'autres joueurs de talent lors du repêchage et veiller à leur développement. Ils devront poser des gestes astucieux afin de déjouer les contraintes du plafond salarial.
« Tout le monde dans l'organisation devra puiser dans ses ressources et redoubler d'ardeur, a affirmé Draper. Il faut poursuivre dans la même veine. »
Parce que le printemps à Detroit n'est pas le printemps s'il n'y a pas de séries éliminatoires de la Coupe Stanley.
Corey Long a participé à ce reportage.*