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CRANBERRY, Pennsylvanie - Jim Rutherford était debout sur le balcon donnant sur son bureau du deuxième étage, qui surplombe la patinoire d'entraînement des Penguins de Pittsburgh au UPMC Lemieux Sports Complex.

Le sourire fendu jusqu'aux oreilles, il a montré les cinq bannières de la Coupe Stanley accrochées au mur du côté nord, particulièrement celles des conquêtes de 2016 et 2017.
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« Vous voyez celles-là », a lancé le directeur général des Penguins, pointant en leur direction. « Celles-là sont spéciales. Ça faisait longtemps qu'une équipe avait gagné deux championnats consécutifs.
« Les gens me demandent si j'ai déjà pensé que j'allais un jour entrer au Temple de la renommée du hockey. Ça ne m'avait jamais traversé l'esprit jusqu'à ce que nous remportions ces deux championnats. Et même encore, je ne me suis jamais vraiment attendu à ce que ça survienne. »
Jusqu'à ce que son téléphone sonne le 25 juin.
À l'autre bout du fil, il s'agissait du président du Temple de la renommée du hockey, Lanny McDonald, qui informait Rutherford qu'il ferait partie de la cuvée 2019.
« Il le mérite », a affirmé le capitaine des Penguins Sidney Crosby. « Je suis vraiment heureux pour lui. C'est un immense honneur. Il est impliqué dans le hockey depuis longtemps et il a joué un rôle majeur dans nos récents succès. Il a remporté la Coupe trois fois comme DG et il a influencé tellement de gens dans le hockey. »

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Sous la férule de Rutherford, les Penguins sont devenus la première équipe à remporter deux championnats consécutifs depuis que la LNH a instauré le plafond salarial en 2005-06, un exploit qui n'avait pas été accompli depuis 1996 et 1997 (Red Wings de Detroit). Il est le premier DG à remporter la Coupe avec deux équipes depuis l'expansion de 1967, alors qu'il a soulevé le trophée avec les Hurricanes de la Caroline en 2006.
« Quand tu regardes tout ça, tu n'as pas le choix d'être impressionné », a mentionné l'entraîneur des Jets de Winnipeg Paul Maurice. « Mais avec Jimmy, il y a plus que des chiffres et le fait qu'il a remporté la Coupe trois fois.
« Il entre au Temple comme bâtisseur. La plupart des gens qui répondent à cette description y entrent parce qu'ils ont bâti des gagnants. Jim a fait plus que ça. En Caroline, il a littéralement bâti une concession à partir de rien, et ça inclut la construction d'un aréna.
« Son parcours jusqu'ici est fascinant. »
Le parcours de Rutherford a commencé alors qu'il n'était qu'un jeune garçon qui mettait souvent le bordel dans la cuisine de sa maison située sur la rue Lilly à Beeton, un village d'environ 300 personnes à 80 kilomètres au nord-ouest de Toronto.
Il estime qu'il avait environ 5 ans quand il a développé sa propre façon de peaufiner ses habiletés de gardien. Il se jetait sur les genoux et lançait une boule en caoutchouc de la taille d'une balle de baseball le plus fort possible sur le mur situé à 10 pieds de lui, puis il essayait d'empêcher le rebond de passer derrière lui.
« J'étais devant la table de la cuisine, donc c'était la grandeur parfaite pour un but », s'est-il remémoré.
C'est un rituel qu'il a pratiqué pendant cinq ans, au grand dam de ses parents, John et Dorthea.
« Je le faisais pendant des heures, chaque jour, a raconté Rutherford. J'arrachais la peinture des murs et des chaises, ce qui ne faisait pas du tout le bonheur de ma mère. Et si mes parents avaient veillé un peu tard la veille, j'étais à mon poste à sept heures le lendemain matin, lançant ma balle sur les murs alors qu'ils tentaient de dormir.
« Parfois, je trouvais un bâton brisé et je l'utilisais. J'ai endommagé le plancher de la cuisine de cette façon. »
Ses entraînements à la maison ont rapporté des dividendes.
À la fin de son adolescence, il était devenu un espoir accompli à la position de gardien et il avait attiré l'attention des équipes de la LNH. Il a été sélectionné avec le 10e choix au total par les Red Wings au Repêchage 1969 de la LNH.
Il n'a pas reçu d'appel pour savoir qu'il avait été sélectionné. Ses parents et lui ont plutôt décidé de se rendre à Toronto et d'attendre cinq heures à l'extérieur des bureaux du journal Globe & Mail pour obtenir une copie de la liste des joueurs repêchés à l'intérieur.
« On était bien loin de l'internet, donc je l'ai appris de cette façon-là », a-t-il lancé.
Rutherford a joué 457 matchs dans la LNH avec Detroit, Pittsburgh, les Maple Leafs de Toronto et les Kings de Los Angeles, conservant une fiche de 151-227-59 avec une moyenne de buts alloués de 3,65 et 14 blanchissages. Il a pris sa retraite en 1983, désirant ardemment demeurer dans le monde du hockey.
Alors que Rutherford dirigeait une école de hockey plusieurs mois plus tard, son éthique de travail a attiré l'attention du magnat de l'informatique de Detroit Peter Karmanos Jr. Il a rapidement été embauché comme directeur des opérations hockey de Compuware Sports Corporation, une organisation impliquée dans plusieurs domaines, dont des ligues pour les jeunes allant jusqu'à une équipe junior A qui compétitionnait dans la Ligue de hockey nord-américaine (NAHL).
Il s'en est suivi une relation de travail entre Karmanos et Rutherford qui a perduré pendant les trois décennies suivantes.

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Rutherford a agi comme DG pour les équipes de la Ligue de hockey de l'Ontario (OHL) que Karmanos possédait à Windsor et à Detroit/Plymouth. Il est devenu DG et copropriétaire des Whalers de Hartford avec le groupe mené par Karmanos qui a acquis l'équipe de la LNH en 1994.
« C'est à ce moment-là que la carrière de Jim comme bâtisseur digne du Temple de la renommée s'est amorcée », a indiqué Maurice, qui a accepté le poste d'entraîneur des Whalers en 1995.
Ça n'allait pas être de tout repos, surtout au début.
Karmanos ne pourra pas assister à l'intronisation de Rutherford lundi à Toronto en raison de problèmes de santé. Ça n'empêchera toutefois pas l'homme de 76 ans d'y être en pensées.
« Je l'admire tellement », a dit Karmanos depuis son domicile de la Floride, samedi. « Sa façon de demeurer concentré lors de ces premières années complètement folles en Caroline est exceptionnelle. »
Après la saison 1996-97, Karmanos a relocalisé les Whalers à Raleigh et les a renommés les Hurricanes de la Caroline. Puisque l'aréna là-bas n'était toujours pas construit, l'équipe a joué à Greensboro, environ 110 kilomètres plus loin.
« Comme Paul Maurice l'a dit, nous avons dû bâtir à partir de rien, et Jim était déterminé à faire un succès de ma décision de déménager l'équipe, a raconté Karmanos. Ç'a été difficile. Nous n'avions pas vraiment le choix. »
Le 3 octobre 1997, le premier match de saison régulière de la LNH en Caroline du Nord a attiré une foule de 18 661 personnes au Greensboro Coliseum. Plusieurs jours plus tard, Karmanos était à son bureau de Detroit quand il a reçu un appel de Matt Brown, le directeur de l'aréna.
« Il m'a dit que nous avions vendu seulement 13 billets pour notre deuxième match (excluant les abonnements de saison), a dit Karmanos. Treize! Je lui ai dit de ne pas s'en faire et que tout allait s'arranger.
« J'ai ensuite raccroché le téléphone et je me suis dit : "Mon Dieu…" »
Karmanos a ensuite appelé Rutherford.
« Je lui ai parlé des 13 billets, a mentionné Karmanos. Il m'a demandé si je lui faisais une blague. Quand je lui ai dit que non, sa réponse a été : "Oh non, ça va mal tourner." »
« Je lui ai simplement dit de ne pas abandonner, que nous allions nous en sortir. »
Et ils y sont parvenus.
Les Hurricanes ont emménagé dans le nouveau PNC Arena, un amphithéâtre de 19 722 sièges à Raleigh, en 1999 et ils ont atteint la Finale de la Coupe Stanley trois ans plus tard, s'inclinant en cinq parties contre les Red Wings. Maurice a été congédié en 2003 et remplacé par Peter Laviolette, qui a conduit l'équipe à la Coupe trois ans plus tard.
Pour Rutherford, qui a fini par quitter les Hurricanes après la saison 2013-14, l'équipe Cendrillon championne en 2006 gardera toujours une place spéciale dans son cœur.

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« Pensez-y, a-t-il lancé. Nous avons déménagé une équipe d'une ligue majeure d'un marché à un autre en environ six mois. Nous l'avons fait, mais c'est difficile. Nous avons abouti à Raleigh, sans aréna. Nous tentons de promouvoir le hockey, mais nous jouons à plus de 110 kilomètres.
« De passer de ça à une Coupe, c'est exceptionnel. »
Karmanos garde des parts des Hurricanes, ayant vendu la majorité des parts de l'équipe à l'homme d'affaires Tom Dundon en décembre 2017. Il a été intronisé au Temple de la renommée dans la catégorie des bâtisseurs en 2015.
« Quand je suis entré, je pense que Jimmy était plus fébrile que moi. Maintenant que c'est à son tour, je pense que je serai plus énervé que lui.
« Personne ne sait plus à quel point il mérite cet honneur que moi. »
Que Rutherford soit encore un DG dans la LNH cinq ans après avoir quitté les Hurricanes ne faisait pas partie du plan original.
Son plan était de prendre sa retraite. Ça l'a été pendant environ une semaine après son départ des Hurricanes en 2014.
« J'étais assis sur mon balcon en Caroline, quand Dave Morehouse, le président et chef de la direction des Penguins m'a appelé pour me demander si je pouvais prendre l'avion pour Pittsburgh le lendemain », a raconté Rutherford.
Ç'a pris seulement une rencontre avec Morehouse et les propriétaires de l'équipe Ron Burkle et le membre du Temple de la renommée Mario Lemieux pour convaincre Rutherford.
« Je me rappelle ma femme Leslie qui m'a demandé : "Nous allons à Pittsburgh? Mais pourquoi?" », s'est remémoré Rutherford. « Je lui ai dit : "Regarde cette formation." »
Avec des joueurs comme Crosby, le joueur de centre Evgeni Malkin, le défenseur Kris Letang et le gardien Marc-André Fleury, Rutherford savait qu'il y avait une fenêtre d'opportunité pour gagner. Il a été nommé DG le 6 juin 2014. Les Penguins ont par la suite acquis les attaquants Phil Kessel et Patric Hornqvist sur le marché des transactions et ils ont remplacé l'entraîneur Mike Johnston par Mike Sullivan le 12 décembre 2015.
Six mois plus tard, les Penguins ont vaincu les Sharks de San Jose en cinq rencontres en Finale de la Coupe Stanley, le premier de deux championnats consécutifs.
« Ç'a cliqué dès le départ entre lui et moi, a souligné Sullivan. Et je pense que c'est parce que nous ne mettons pas de gants blancs. Nous disons ce que nous pensons. Nous ne nous soucions pas de certaines sensibilités. Personne n'est sur la défensive. Il est également courageux. Ça m'impressionne qu'il soit celui qui prenne toutes les décisions importantes.
« Je suis très heureux qu'il entre au Temple. Regardez à quel point c'est difficile de gagner dans cette ligue. Il y a tellement de parité. De le voir gagner trois fois la Coupe Stanley avec deux équipes différentes, c'est impressionnant. »
Pour Crosby, les bannières des championnats de 2016 et 2017 au complexe d'entraînement sont des symboles du succès de Rutherford.
« Il est débarqué ici affamé, a dit Crosby. Il faudrait lui demander, mais je ne pense pas qu'il s'attendait à être DG encore aussi longtemps. Le fait qu'il soit ici depuis aussi longtemps signifie que l'équipe a gagné.
« Quand tu mises sur des personnes exceptionnelles comme lui, qui sont loyales et qui traitent les gens de la bonne façon, que tu es en plus respecté non seulement dans ton vestiaire, mais partout dans la Ligue, je pense que c'est le plus bel héritage que tu puisses laisser. »

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Alors que son intronisation approche, Rutherford admet qu'il se plonge rarement dans les souvenirs.
« J'ai toujours vécu en regardant vers l'avant, pas vers le passé, a-t-il philosophé. Il faut toujours se concentrer sur ce qu'il y a en avant de soi.
« Voici un exemple. Après avoir gagné le match no 7 de la finale de l'Association de l'Est en deuxième prolongation contre Ottawa, je conduisais vers la maison quand un chevreuil a foncé dans mon véhicule. J'ai stationné l'auto dans le garage en arrivant à la maison, même s'il y avait des dommages. J'étais trop fébrile d'aller en Finale. »
Il est tout aussi impatient d'entrer au Temple.
« C'est le plus grand honneur de ma carrière, a-t-il dit. Ce n'est pas trop mal pour un petit gars né à Beeton. »