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Personne, selon Scotty Bowman, ne peut pleinement réaliser la pression qu'avait Guy Lafleur sur les épaules lorsqu'il a été repêché par les Canadiens de Montréal au premier rang total en 1971.

Aujourd'hui, alors qu'il est en deuil de l'un des joueurs les plus électrisants de l'histoire de la LNH - un attaquant brillant qui a fait partie de cinq éditions championnes qu'il a dirigées dans les années 1970 - Bowman n'arrive toujours pas à croire que Lafleur a non seulement survécu à la marmite bouillante qu'est le marché montréalais, mais qu'il y a également connu du succès.
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Bowman a dirigé Lafleur, natif de Thurso, au Québec, à partir de sa première mise en jeu jusqu'à ses années de gloire, soit pour 603 de ses 961 matchs de saison régulière avec les Canadiens entre 1971 et 1979 et pour 98 de ses 128 rencontres en séries éliminatoires de la Coupe Stanley entre 1972 et 1979.

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L'entraîneur et l'attaquant sont débarqués chez les Canadiens à quelques heures d'intervalle. Bowman a été présenté comme successeur d'Al MacNeil le 10 juin 1971, la même journée où le repêchage se tenait à l'hôtel Queen Elizabeth de Montréal.
Ce matin-là, les Canadiens avaient été mis à vendre par les frères David, William et Peter Molson, 24 heures après que le légendaire Jean Béliveau eut annoncé sa retraite à la suite d'une carrière de 18 saisons avec Montréal, au cours de laquelle il avait soulevé la Coupe Stanley 10 fois, dont cinq comme capitaine.
Lafleur avait brûlé la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) pendant deux saisons avec les Remparts de Québec, amassant 103 buts en 1969-70 et 130 la saison suivante, conduisant Québec à la conquête de la Coupe Memorial en 1971. Les Canadiens allaient presque assurément le repêcher ce printemps-là, et les attentes de certains étaient qu'il allait immédiatement chausser les souliers de Béliveau.
Selon les partisans, les Canadiens mettaient la main sur une supervedette francophone pour reprendre là ou venait de laisser leur illustre capitaine et huit fois gagnant du trophée Maurice-Richard.
Bowman secoue la tête en entendant cette absurdité.

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« Tout le monde s'attendait à ce que Guy remplace Jean, ce qui était impossible, lance Bowman. Où alliez-vous trouver un autre joueur comme Jean Béliveau? Le Rocket (Maurice Richard) avait remporté la Coupe Stanley cinq fois de suite (1956 à 1960). Béliveau avait joué avec lui pendant sept saisons à partir de son arrivée en 1953. Quand le Rocket s'est retiré en 1960, Béliveau était là depuis un bon bout de temps. Tout le monde savait qu'il était l'héritier du Rocket.
« Mais quand Guy est arrivé, Béliveau venait tout juste de prendre sa retraite. Et il se joignait à une équipe qui venait de remporter la Coupe Stanley (en 1971) en surprenant les Bruins de Boston, puis les Blackhawks de Chicago. Guy n'avait que 20 ans et il savait que plusieurs voulaient que les Canadiens repêchent Marcel Dionne (un autre franc-tireur québécois qui a été sélectionné au deuxième rang par les Red Wings de Detroit). »
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Lafleur avait connu la majorité de ses succès avec Québec à l'aile droite lors de sa dernière saison, mais avec la façon dont les Canadiens étaient bâtis, il a dû amorcer sa carrière au centre. Ce changement de position n'a pas facilité son adaptation à la LNH.
« Je suis nul aux mises en jeu, mais l'entraîneur dit que je vais apprendre », avait déclaré Lafleur à la blague en début de carrière.
La pression sur les épaules de la recrue de 20 ans était immense, se remémore Bowman.
« Guy se mesurait à des joueurs de centre aguerris comme Phil Esposito, Jean Ratelle et Stan Mikita. Dionne avait abouti à Detroit, une équipe moins bonne, et il jouait beaucoup de minutes avec de bons joueurs, amassant les points à gauche et à droite. »

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L'attaquant Richard Martin, natif de Montréal dans le quartier de Verdun, avait été repêché au cinquième échelon par les Sabres de Buffalo en 1971 et il allait connaître du succès au sein de la French Connection, un trio formé de lui, Gilbert Perreault et René Robert, ce dernier ayant été acquis par voie de transaction à la fin de la saison 1971-72.
« Martin a été muté à Perreault et à Robert, et la chimie s'est installée immédiatement », s'est rappelé Bowman.
Les partisans s'impatientaient lors des trois premières saisons de Lafleur, quand il a inscrit 29, 28 et 21 buts, respectivement. La conquête de la Coupe Stanley en 1973 aura au moins détourné l'attention de ses statistiques individuelles.
Mais Lafleur a éclos au même moment où il s'est débarrassé de son casque en 1974-75, à sa quatrième saison. Ce fut sa première de six campagnes consécutives d'au moins 50 buts et 100 points. Il a gagné le trophée Art-Ross à titre de meilleur pointeur de la LNH lors de trois saisons consécutives, soit de 1975-76 à 1977-78.
Bowman était aussi émerveillé que tout le monde par la touche magique de Lafleur. Mais il a eu un point de vue privilégié sur ses exploits, depuis l'arrière du banc et sur la glace lors des entraînements.

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« Guy était très discret à ses débuts, il n'agissait pas comme s'il s'amenait pour tout prendre en main, a raconté Bowman. Ç'a été des moments difficiles pour lui, mais il a pris son erre d'aller après un peu de temps. Il aimait aller sur la glace 15 ou 20 minutes avant un entraînement et patiner seul en décochant des tirs. Il aimait être seul.
« Il était très bon à l'entraînement. Il ne jouait pas 20 minutes par match à ses deux ou trois premières années. Il n'y avait pas assez de temps de jeu à partager. Mais il s'entraînait toujours la pédale au plancher. Un joueur n'accomplit pas ce qu'il a fait sans travailler fort en solitaire. Il n'avait pas besoin de personne pour lui enseigner quoi que ce soit. Il avait un talent naturel pour tirer et passer, mais il n'avait tout simplement pas assez d'expérience lors des premières années.
« Guy marquait des buts de partout. Il n'inscrivait pas des buts d'une seule façon : il pouvait marquer d'un bon tir dans la partie supérieure ou déjouer un adversaire et trouver le fond du filet. Il était peut-être un centre naturel. Il pouvait transporter la rondelle, mais aussi créer des jeux. Il n'avait pas besoin de beaucoup de temps et d'espace, et heureusement, il est demeuré relativement en santé. Guy était un joueur d'élite, tant par ses qualités de marqueur que de fabricant de jeux. Il avait un don pour marquer dans les moments opportuns. »
En effet, Lafleur est le meneur de l'histoire des Canadiens avec 94 buts vainqueurs.
« Je ne pense pas qu'aucun autre joueur n'aurait eu autant de pression que Guy à son arrivée à Montréal en 1971, a dit Bowman. Dans ses meilleures années, quand il remportait le championnat des marqueurs et la Coupe Stanley, il était l'un des rares joueurs que les partisans de n'importe quelle ville payaient pour voir à l'œuvre. »
Crédit photos : Temple de la renommée du hockey; Getty Images