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Bouchard : Ne blâmez pas les Devils!

Notre chroniqueur revient sur la perception que le hockey joué sous les ordres de Jacques Lemaire est à l'origine du hockey défensif

par Olivier Bouchard @oli_bou / Chroniqueur LNH.com

Quelque chose se serait éteint dans la LNH, à l'orée des années 2000. C'est l'idée que défendait la semaine dernière le chroniqueur Adam Gretz. La chose mérite à mon sens d'être revisitée parce qu'il s'agit d'un beau prétexte pour revenir sur les équipes qui furent parmi les puissances de la LNH au milieu des années 90.

Le point de départ de cet article est une remarque de Brad Richards. Ce dernier soulignait, à l'occasion de l'annonce de sa retraite, que le hockey d'aujourd'hui a changé, qu'il n'est plus aussi créatif, plutôt axé sur le jeu nord-sud et les pourcentages. Gretz utilise son article pour signaler, à raison, que si l'on doit chercher la source contemporaine du manque d'imagination comme tactique gagnante dans la LNH, c'est bien du côté des Panthers de la Floride de la fin des années 90 (et, ajouterais-je, des Sabres de ces mêmes années, deux clubs poussés par d'excellents gardiens) qu'on doit regarder. S'il y a une source à l'anti-hockey contemporain, elle se trouve là.

Comme Gretz, je pense que ce point doit être d'emblée rappelé parce qu'on attribue généralement au Devils du New Jersey de Jacques Lemaire cette tendance à accrocher, obstruer et attendre sans provoquer grand-chose à l'attaque.

Or, lorsqu'on retourne en arrière, on constate que ça n'est pas tout à fait le cas. Lemaire est entraîneur des Devils de la saison 1993-1994 jusqu'en 1997-1998. Au cours de cette période, seulement deux équipes ont remporté plus de matchs en saison régulière que les 199 joutes gagnées par les Devils : les Penguins de Pittsburgh ont gagné 200 matchs et les Red Wings en ont gagné… 223!

On a retenu des Penguins et des Red Wings de cette époque qu'ils étaient des puissances offensives, que les Devils étaient excellents en défensive et que cette excellence leur a permis d'avoir l'avantage sur leurs adversaires plus doués. En fait, c'est un peu plus nuancé. Sur ces cinq saisons, les Rangers de New York remportent la Coupe Stanley une fois, les Devils la remportent une fois contre les Red Wings, l'Avalanche du Colorado (qui, avec les Nordiques de Québec, ont aussi gagné 199 matchs en cinq ans) triomphe en 1996. Les deux dernières finales de la Coupe de cette période sont gagnées par Detroit, contre les Flyers de Philadelphie (195 victoires en cinq ans) et les Capitals de Washington (173 victoires).

Lorsqu'on regarde le détail des buts marqués, on constate que les Devils n'avaient, au bout du compte, pas tant à envier aux grandes puissances offensives de l'époque.

À forces égales (toutes les données utilisées dans cet article sortent de l'excellent site Hockey-reference.com), seuls les Red Wings, les Penguins, l'Avalanche et les Flyers marquent plus de buts par match que les Devils.

En défensive, la troupe de Lemaire est effectivement la plus efficace à forces égales, mais une nuance s'impose : les Red Wings sont presque aussi bons !

Là où la grande faiblesse des Devils apparaît lorsque comparée aux autres clubs d'élite de l'époque, c'est en avantage numérique. La production offensive des Penguins, des Red Wings et de l'Avalanche est presque 50 pour cent supérieure à celle des Devils, un des pires clubs de l'époque. Et en désavantage, tout comme à forces égales, l'excellence des Devils est à peine supérieure à celle des Red Wings.

Tout ça permet donc de nuancer le portrait. Il est peu probable que le fait d'imiter le système de jeu des Devils ait mené à l'attrition de la production offensive dans la LNH au tournant des années 2000. Si les Devils n'ont pas de grande vedette qui remplit les filets, on parle quand même d'une équipe qui domine avec constance ses adversaires et marque plus que sa large part de buts. Seul l'avantage numérique vient dégonfler un peu les chiffres accumulés par cette équipe.

Je tiens aussi à souligner que les Devils ne sont pas de ces équipes qui ont triomphé grâce à un gardien sensationnel. Martin Brodeur est une authentique légende de la LNH, mais il permettait à une excellente équipe de faire partie de l'élite, pas à une équipe moyenne de passer pour excellente.

Les différentiels de tirs ne sont pas disponibles par situations dans ces années-là, mais on dispose quand même des différentiels de tirs bruts. Les Devils, comme le montre le graphique ci-dessous, sont une bonne équipe de possession de rondelle, surtout au cours des quatre dernières saisons de Lemaire. L'axe horizontal du graphique représente la moyenne de tirs par match dans la LNH au cours de cette période, soit 29,4.

Ce chiffre de 29,4 tirs permet un constat intéressant : la moyenne de tirs obtenus par les Devils sur 10 matchs se situe au-delà de ce seuil pendant 72 pour cent de la période. La moyenne de tirs accordés sur 10 matchs reste quant à elle en dessous de ce seuil pour 87 pour cent de la période!

Les Penguins, eux, voient leur moyenne de tirs obtenus rester au-delà de celle de la ligue 52 pour cent du temps, et leurs tirs concédés seulement 19 pour cent du temps. Cette réputation qu'on a faite aux Red Wings de club offensif, mais peu défensif collait bien mieux aux Penguins.

Quant aux Red Wings, ils sont carrément dominants. Sur 10 matchs, leur moyenne de tirs obtenus surpasse celle de la LNH 90 pour cent du temps et ils en accordent moins que la moyenne 95 pour cent du temps. Une performance tout simplement exceptionnelle.

 

Les Devils ont formé, sous Jacques Lemaire, un club complet, défensivement comme offensivement, sans pour autant avoir de supervedettes. Il est injuste qu'à ce jour on leur associe l'émergence du hockey ultra défensif qu'on a cherché à casser à la suite du lock-out de 2004-05. On constate d'ailleurs que le jeu se resserre de plus en plus, au point où on se demande si les gardiens sont devenus le problème dans la LNH. Il n'est pas, à mon sens, étonnant que dans ce contexte un joueur comme Richards ait l'impression que le hockey est redevenu nord-sud. Richards a connu sa première saison de 90 points en carrière à l'âge de 25 ans, au retour du lock-out, au moment où le jeu offensif et surtout le temps passé en avantage numérique est à son maximum. Si on cherche à déployer plus d'offensive, peut-être devrait-on retourner voir ce que faisaient les puissances de la LNH du milieu des années 1990, notamment les Devils de Jacques Lemaire. On y trouverait, je le soupçonne, des similitudes surprenantes avec les équipes de pointe actuelles, qui se démarquent par des groupes d'attaquants composés non pas de quelques vedettes et d'une bande de plombiers, mais plutôt de quatre trios capables de marquer, où les joueurs de soutien sont aussi des joueurs de talent.

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