Dans le monde du hockey, les spécialistes disent à peu près tous la même chose. Avant de mesurer la véritable valeur d’un repêchage, il faut attendre cinq ans.
Le mardi 6 octobre et le mercredi 7 octobre 2020, les Sénateurs d’Ottawa ont vécu deux journées qui allaient transformer le visage de l’équipe.
On ne pouvait pas vraiment le savoir, à l’époque.
Aujourd’hui, on sait.
En tout, durant ces deux journées, les dépisteurs des Sénateurs ont sélectionné 10 joueurs. Alors que débute la saison 2025-26, cinq font partie de l’équipe. Ils ont tous des rôles importants à jouer. Trois autres ont eu la chance de jouer quelques matches avec la formation avant de poursuivre leur chemin ailleurs.
Difficile de demander mieux!
« C’est cool. En fait, c’est fou de penser que ça fait déjà cinq ans. C’est fou de penser que nous n’avions que 17 ans à l’époque », déclare Jake Sanderson. « Je crois qu’il faut rendre hommage aux dépisteurs d’Ottawa. Parfois, les dépisteurs font mouche. Parfois, ils se trompent. Dans ce cas, il faut reconnaître qu’ils ont vu juste. »
Sanderson, un défenseur américain dont on ne soupçonnait pas l’ampleur du talent, a été le deuxième joueur repêché par les Sénateurs, en 2020. Les dépisteurs l’ont sélectionné au cinquième rang. Quelques minutes plus tôt, au troisième rang, ils avaient déjà mis le grappin sur un centre qui jouait en Allemagne, Tim Stützle.
Plus tard, avant la conclusion de la première ronde, ils ont réussi à obtenir un autre attaquant prometteur dans l’ouest canadien, Ridly Greig.
Le lendemain, durant une journée fort chargée, ils ont réussi à sélectionner le défenseur Tyler Kleven et le gardien Leevi Meriläinen.
« C’est cool, mais vous savez, Timmy serait le premier à dire que nous continuons à pousser pour continuer d’avancer. Nous partageons tous son opinion. Nous ne sommes pas satisfaits », précise Sanderson.
Timmy et Sandy, déjà amis
Stützle pensait déjà comme ça, à l’époque. Le 6 octobre, en soirée, il s’est installé dans un restaurant situé tout près de chez lui sachant qu’il faisait partie des plus beaux espoirs. Il ne savait pas trop quand il serait appelé, mais il avait discuté avec les dirigeants des équipes qui détenaient les trois premiers choix.
Stützle faisait alors partie du club professionnel de Mannheim, dans la ligue d’élite allemande. Toujours d’âge scolaire, il avait choisi de poursuivre son développement en jouant au hockey de façon professionnelle dans la meilleure ligue de son pays natal.
Cette soirée marquait le début de son avenir en Amérique du nord. Elle lui offrait aussi l’occasion de célébrer la fin d’un parcours européen avec tous les gens qui l’avaient appuyé.
« Pour moi, le plus important, c’était de passer cette soirée avec ma famille », dit-il. Et le mot « famille » a un sens très large. « J’avais invité mes coéquipiers. Je parle ici des gars avec qui je jouais chez les pros à Mannheim depuis un an, mais aussi des gars avec qui j’ai grandi. Ils m’ont tous aidé à me rendre jusque-là. Ils ont tous joué un rôle, un jour ou l’autre, sur le chemin du repêchage. »
Et Stützle, visiblement, n’a pas manqué de soutien au fil des ans.
« Je ne me souviens plus de tous les détails de la soirée, mais je crois que nous étions plus de 150 personnes sur place! »
Les coéquipiers ont continué d’aider Stützle, le soir du repêchage.
Les Sénateurs avaient demandé à Alex Trebek, très populaire animateur du jeu questionnaire Jeopardy!, d’annoncer leur sélection. « Je ne savais pas du tout qui était cet homme », se souvient Stützle. « Heureusement, mes coéquipiers canadiens à Mannheim ont pu m’expliquer. »
Curieusement, avant la fin de la soirée, Stützle a pu poursuivre les célébrations avec un nouvel ami.
Il avait commencé à tisser des liens d’amitié avec Sanderson quelques semaines avant le repêchage.
« On avait commencé à se parler quelques semaines auparavant. Je le suivais sur Instagram et il me suivait également », raconte-t-il, sans offrir plus de détails.
Sanderson conserve des souvenirs un peu plus précis de la naissance de cette amitié.
« Je crois que nous avions participé à une entrevue, ensemble, quelques semaines avant le repêchage. Quelques espoirs avaient participé à une entrevue, sur Zoom, avec Wayne Gretzky, et Tim faisait partie du groupe. Je ne me souviens plus trop comment, mais nous avons repris contact dans les jours qui ont suivi. Nous avions pris l’habitude d’échanger quelques textos. J’avais donc ses coordonnées quand nous avons été repêchés au sein de la même équipe. »
Il s’agissait d’une amitié strictement virtuelle, à l’époque. Les deux joueurs se sont rencontrés en personne pour la toute première fois deux mois plus tard, à Edmonton, dans un couloir d’hôtel durant le Championnat mondial de hockey junior.
À des milliers de kilomètres de l’endroit où se déroulait la grande fête pour Stützle, Sanderson était aussi très bien entouré. Dans l’aréna Ralph Engelstad, à Grand Forks, dans le Dakota du Nord, ses coéquipiers ont hurlé de joie quand il a été sélectionné.
Le jeune défenseur, lui, n’était pas particulièrement expressif lorsqu’on l’a vu à la télévision.
« J’étais nerveux », fait-il valoir.
« Aussi, je ne voudrais pas prétendre que je savais que je serais repêché par Ottawa, mais disons que j’avais une bonne idée », affirme-t-il.
Encore une fois, des amis ont plus ou moins vendu la mèche.
Les Sénateurs, en 2020, misaient déjà sur deux joueurs qui évoluaient à l’Université du Dakota du Nord. Jacob Bernard-Docker avait été le deuxième choix de première ronde de l’équipe lors de la séance de sélection de 2018. Un an plus tard, Shane Pinto avait été réclamé au tout début de la deuxième ronde. Ces joueurs, voyez-vous, discutaient régulièrement avec les Sénateurs, leurs dépisteurs et leurs dirigeants.
« Je savais que les Sénateurs parlaient souvent de moi avec Shane. Ils avaient posé plusieurs questions à mon sujet à JBD », dit Sanderson. « J’avais moi-même discuté avec les dirigeants de l’équipe à quelques reprises. »
Bref, Sanderson s’attendait un peu à se retrouver à Ottawa. Toutes ces conversations lui ont permis de faire fi des nombreuses projections qu’on retrouvait en ligne dans les semaines précédant le repêchage. Tous ceux qui s’amusaient à prédire l’issue de la première ronde s’attendaient à ce qu’il soit réclamé un peu plus tard.
« Je crois que la majorité des experts s’attendaient à ce que mon nom soit appelé aux environs du 10e rang », dit Sanderson. « C’est un peu rigolo, aujourd’hui, de refaire l’exercice. Moi, vous savez, je me fichais un peu de toutes les prédictions. J’étais tout simplement heureux que mon nom soit mentionné sur toutes ces listes. J’avais quand même l’impression que je serais repêché un peu plus tôt. »
« C’était la même chose pour Tim, quand on y pense. À l’époque, je croyais qu’il serait le tout premier joueur sélectionné durant ce repêchage. Quand on y repense, aujourd’hui, c’est probablement ce qui aurait dû se produire. »
Un avion à prendre
Tyler Kleven faisait partie des joueurs qui ont crié lorsque Sanderson a été repêché au cinquième rang par les Sénateurs. À l’automne 2020, alors âgé de 18 ans, il venait tout juste d’entreprendre sa première saison dans l’équipe de hockey masculine du Dakota du Nord.
Les dirigeants de l’établissement avaient un peu ouvert les portes de l’aréna Ralph Engelstad pour lui, aussi. Il faisait aussi partie des plus beaux espoirs du repêchage.
« Je m’attendais à être repêché au début de la deuxième ronde ou vers la fin de la première ronde. Je dirais que c’était mon but », dit-il.
« Quand je n’ai pas été repêché le premier jour, en bout de ligne, ça m’a déçu. »
Kleven était néanmoins content pour son coéquipier et voisin de dortoir Sanderson.
Lorsque la deuxième journée du repêchage a débuté, il était un peu nerveux quand il est retourné à l’aréna. Il avait hâte de savoir dans quelle ville débuterait sa carrière dans les rangs professionnels, mais il n’y avait pas que ça.
« J’avais un avion à prendre », raconte-t-il.
Le 7 octobre 2020, les joueurs qui aspiraient à se tailler un poste au sein de l’équipe nationale américaine, en prévision du Championnat mondial de hockey junior, devaient se réunir au Michigan. Le billet était réservé depuis longtemps. Tout était prévu. Le repêchage était la seule variable que Kleven et son entourage ne pouvaient contrôler.
Combien de temps devrait-il attendre?
« Avec chaque seconde qui passait, je me disais que j’allais finir par rater mon avion », se souvient Kleven.
Les Sénateurs, en plein cœur de leur reconstruction, détenaient trois choix de deuxième ronde. Lorsqu’est venu d’effectuer leur deuxième sélection, au 44e rang, ils ont été chanceux. Le deuxième défenseur gaucher qu’ils convoitaient était toujours disponible.
Il était temps.
« Quand j’ai finalement été repêché, j’ai eu le temps de célébrer un tout petit peu avec ma famille. Je suis parti en vitesse, j’ai ramassé ma valise et il y a eu un véritable sprint jusqu’à l’aéroport. »
Il n’a pas raté son vol. « Mais c’était serré. »
Heureusement, quand il est arrivé sur place, un ami l’attendait à la porte d’embarquement. Jake Sanderson, son coéquipier dans les rangs universitaires – et futur coéquipier chez les pros – s’est chargé de le calmer, en lui disant qu’il n’était pas en retard. Un peu plus tard, durant le vol, ils ont pu comparer leurs connaissances sur la capitale du Canada et imaginer leur avenir commun avec son club de hockey.


















