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FORT LAUDERDALE – A.J. Greer se souvient très bien des commentaires qu’il entendait à gauche et à droite quand il a pris la décision la plus importante de sa carrière : celle de quitter l’Université de Boston, dans la NCAA, pour se joindre aux Huskies de Rouyn-Noranda, dans la LHJMQ.

« À peu près tout le monde me disait que c’était une mauvaise décision et que je ne devais pas faire ça, s’est souvenu l’attaquant des Panthers de la Floride. Il y a même quelqu’un d’une équipe de la LNH qui m’a dit que des gars avaient terminé leur carrière au McDo en faisant un choix pareil. »

Près de dix ans plus tard, le Québécois vient de jouer son premier match en finale de la Coupe Stanley, et il est à deux victoires de l’avoir au bout des bras.

Ce serait peut-être arrivé même s’il avait poursuivi son développement dans les rangs universitaires américains – il était déjà un choix de deuxième tour de l’Avalanche du Colorado. Peut-être pas, non plus. La réalité, c’est que Greer avait l’impression de plafonner dans son développement.

Son entraîneur de l’époque David Quinn ne l’utilisait pas beaucoup et le style de jeu de la NCAA convenait moins au sien. Un soir de décembre 2015, juste avant Noël, le natif de Joliette a pris la décision de rentrer à la maison. L’ayant repêché au 11e tour, deux ans auparavant, les Huskies détenaient ses droits.

« J’étais assis chez nous, c’était un 18 décembre », a raconté avec précision Gilles Bouchard, l’ancien entraîneur et directeur général des Huskies. « Je reçois un coup de téléphone de Norman Flynn qui me dit que je viens de gagner le gros lot et qui me demande si je veux avoir l’aide d’A.J. Greer.

« J’ai parlé à d’autres personnes, à A.J. et à son père. Trois heures plus tard, c’était réglé. Il s’en venait. »

Flynn, qui a dirigé dans la LHJMQ et qui est désormais analyste au Réseau des sports, est un ami personnel de la famille. Il a suivi la carrière de Greer, et a agi comme conseiller pendant cette période forte en turbulences.

« Pour moi, le style de jeu d’A.J. collait plus à celui de la LCH que de la NCAA, a soutenu l’analyste. C’est un gars un peu plus physique. Il a besoin de la grosse compétition. Il aime ça brasser un peu, et il n’y a pas vraiment de place pour ce genre de gars dans la NCAA. Je savais qu’il serait plus en évidence dans la "Q".

« Il est arrivé à Rouyn, et il a explosé. S’il n’a pas été le meilleur joueur des Huskies dans ces séries-là, il n’était pas loin. Tout le monde parlait de lui. Tout le monde voulait lui arracher la tête. »

Cette année-là, les Huskies avaient déjà une équipe pour aller jusqu’au bout. L’ajout de Greer dans l’équation est simplement venu confirmer leur supériorité. Avec ses 12 buts et 22 points en 20 matchs éliminatoires – le troisième plus haut total des siens – il a aidé son équipe à remporter la Coupe du Président.

Quelques semaines plus tard, les Huskies s’inclinaient en prolongation face aux puissants Knights de London en finale du tournoi de la Coupe Memorial. Greer, lui, devenait le joueur le plus détesté à Red Deer, la ville hôtesse. Dérangeant à souhait, il se faisait huer bruyamment à chacune de ses présences.

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A.J. Greer avec les Huskies de Rouyn-Noranda à la Coupe Memorial contre les Knights de London

« C’est un joueur de même, a rigolé Bouchard au bout du fil. Tu as besoin de papier sablé pour gagner en séries, et c’est ce qu’il apporte. C’est un gars qui est très déterminé et qui prend à cœur ce qu’il doit faire dans son rôle. Il va faire n’importe quoi pour aider son équipe à gagner.

« Il s’inscrit à la marque ici et là, il s’implique physiquement et il dérange l’adversaire. Il joue toujours avec fierté. Ça n’a pas changé avec les années. »

Des années avant le déclic

Ce mélange des genres qui lui est unique est aussi venu avec son lot de confusion. Le gros bonhomme de 6 pieds 3 pouces et 209 livres a pris confiance en ses moyens à Rouyn-Noranda, et il est arrivé avec le club-école de l’Avalanche, dans la Ligue américaine, avec la volonté de faire sa marque offensivement.

Et faute de profondeur, c’est le rôle que lui a confié son entraîneur Éric Veilleux dès sa première saison chez les professionnels. Mais il était hors de question pour lui de le transformer en joueur purement offensif.

« Mets-toi à sa place, a amorcé celui qui dirige maintenant les Remparts de Québec. C’était sa première année, il était un choix de deuxième tour, il jouait sur le premier trio et sur la première vague de l’avantage numérique. C’est difficile de ne pas te faire des attentes.

« Pour moi, c’était important qu’il garde son côté hargneux, son côté robuste. Si tu veux être juste offensif et qu’il n’y a pas de place sur les deux premiers trios dans la LNH, tu es dans le trouble. Il a compris ça. »

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A.J. Greer après avoir inscrit son premier but dans la LNH avec l'Avalanche du Colorado

Ça lui a tout de même pris quelques années, six pour être exact, avant de véritablement trouver sa niche.

« C’est sûr que ça prend du temps pour accepter ton rôle et vraiment l’assumer, a expliqué Greer, qui a maintenant 28 ans. J’avais moins de maturité, je comprenais moins ma game. À certains moments de ma carrière, je comprenais moins mon efficacité et la façon dont je pouvais me rendre à la LNH. »

Pendant qu’il se cherchait, il a été échangé à deux reprises, et est passé bien près d’abandonner son rêve avant d’avoir une première vraie chance à temps plein dans la LNH. C’est quand les Bruins de Boston lui ont offert un contrat de deux ans à un volet, en juillet 2022, que les choses ont véritablement débloqué.

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A.J. Greer en compagnie de Brad Marchand alors que les deux joueurs évoluent avec les Bruins de Boston

« À notre camp d’entraînement, cette année-là, il était le meilleur joueur, s’est souvenu son coéquipier Brad Marchand. Il était incroyable. Il a beaucoup de vitesse, il est extrêmement hargneux et il joue dur. Il a aussi beaucoup de talent. Quand il est arrivé à Boston, je savais qu’il serait un bon joueur pour nous.

« Je savais qu’il aurait une longue carrière. Je suis très heureux pour lui. Il prouve qu’il a sa place ici. »

Un élément indispensable

Greer lui-même a toujours eu l’impression qu’il en arriverait à ce point, d’une manière ou d’une autre. C’est du moins l’impression qu’il a laissée à ceux qu’il a croisés sur son chemin.

« Tu le vois quand un gars a dans la tête de jouer dans la LNH, et qu’il est prêt à tout faire pour y arriver, a dit Veilleux. Pour moi, c’est la définition d’A.J. Greer. Je n’avais pas trop de doutes. C’était une question de temps avant qu’il comprenne l’importance du rôle qu’il pourrait avoir avec une équipe de la LNH. »

« Il faut reconnaître son caractère parce qu’il a eu à traverser beaucoup d’adversité, a renchéri Bouchard. C’est un gars qui cadrerait dans bien des équipes. C’est un joueur de profondeur avec lequel tu gagnes. »

Chose certaine, Paul Maurice et les Panthers ne se passeraient plus de lui. Dès qu’il a été rétabli de la blessure qui l’a tenu à l’écart pour les deux premiers matchs de la finale, l’entraîneur lui a redonné sa place au sein du quatrième trio dans le troisième affrontement.

Aux côtés de Tomas Nosek et de Jonah Gadjovich, il a contribué à redonner aux Panthers leur véritable identité dans une victoire sans équivoque de 6-1 face aux Oilers d’Edmonton, lundi. S’ils sont en mesure de poursuivre sur cette lancée, Greer pourrait conclure sa première saison en Floride avec une conquête de la Coupe Stanley.

Ce serait un beau doigt d’honneur à ceux qui pensaient qu’un retour dans la LHJMQ le mènerait tout droit vers la fin de sa carrière. Vers la fin de son rêve.

« Dans mon cœur, j’ai toujours su qu’il y avait quelque chose de spécial, que j’allais me rendre là, a conclu Greer. Mon histoire, ç’en est une de persévérance, mais aussi une de confiance en soi. »