Yannick Veilleux

LAVAL - Un mélange de myopie, d'hypermétropie et beaucoup d'astigmatisme, ce ne sont pas des termes qui sont généralement associés à des joueurs de hockey. Encore moins quand tous ces termes font référence au même œil. Et… que celui-ci appartient à un hockeyeur professionnel.

C'est pourtant le cas de Yannick Veilleux, qui réussit à gagner sa vie en pratiquant son sport préféré même s'il ne voit qu'à 50% de son œil gauche.
Pour le joueur du Rocket de Laval, cette vision affaiblie est loin d'être un handicap. À 50%, c'est même un «plus».
«C'est de naissance. Quand je suis né, je voyais à peu près à 10-12% et c'est quand j'ai commencé à marcher que mes parents se sont rendu compte de mon problème. Je fonçais dans les murs, je déboulais les marches, je n'étais pas capable de prendre mon verre de lait. J'avais jusqu'à l'âge de six ans pour pouvoir améliorer ma vision, alors à partir de deux ans, j'ai commencé à porter une patchsur mon œil droit - mon œil fort - pour renforcer mon œil gauche. Je l'ai porté de deux à six ans», a-t-il expliqué, affichant un sourire en coin lorsqu'on lui fait remarquer qu'il a été un «petit pirate» toute son enfance.
Ce cache-œil - qui était souvent aux couleurs de ses superhéros préférés pour qu'il se transforme lui aussi en petit héros et qu'il évite les moqueries de ses camarades - lui a permis d'améliorer sa vision à 50%. C'est le mieux qu'il pourra faire, son cas n'étant pas opérable à ce jour.
«Quand j'étais jeune, c'était vraiment un cas particulier. Au début, j'allais peut-être toutes les semaines à l'hôpital avec ma mère et j'avais souvent des élèves de McGill qui venaient étudier sur moi parce que c'était un cas spécial. Alors je pouvais être deux ou trois heures sur la table et les gens avec les lumières venaient regarder, mais après, c'était une fois par semaine, une fois aux trois semaines, par mois et maintenant, c'est juste mon examen annuel», a raconté l'attaquant de 24 ans, qui porte des lunettes dans la vie de tous les jours pour empêcher son œil «fort» de trop forcer et lui éviter les maux de tête.

Yannick Veilleux enfant 1

Pour les autres, sa vision de l'œil droit est à demi voilée. Mais Veilleux voit les choses autrement - dans tous les sens du terme.
«Quand je suis sur la glace, pour moi, c'est comme si je voyais à 100% parce que c'est toujours comme ça que j'ai vu. Je ne remarque pas que j'ai une différence de vision quand mon œil droit est ouvert», a-t-il noté.
Malgré tout, il doit tout de même vivre avec un certain angle mort.
«En fait, je vois tout sur la glace, mais c'est embrouillé. Alors je sais qu'il y a un chandail rouge, mais je ne sais pas nécessairement qui c'est. Je sais quand même si c'est un droitier ou un gaucher. J'ai toujours été habitué comme ça.
Le médecin dit que ma vision périphérique est un peu moins grande et c'est vrai qu'elle est un peu plus petite que celle de l'autre côté, mais j'ai toujours vu comme ça. Ce n'est pas quelque chose qui m'achale trop», a-t-il assuré.
La grande question lorsqu'il a compris qu'il avait le talent pour faire carrière dans le hockey, c'était de savoir s'il devait garder cette information pour lui ou la dévoiler au grand jour, notamment en vue de son repêchage - les Blues l'ont sélectionné au quatrième tour en 2011, 102e au total.

Yannick Veilleux enfant 2

«Quand je suis arrivé dans le junior, mon père m'a dit de ne pas en parler, mais moi, j'étais comme "c'est moi!", je ne me considère pas comme si j'avais un handicap comparativement à un autre, parce que j'ai toujours été comme ça.»
Mais il a gardé le secret.
«En arrivant chez les professionnels, je me souviens du début du camp des Blues - il y a eu la même chose à Montréal -, quand on devait lire les lettres au loin un par un pendant que les autres joueurs attendaient en ligne à côté, les joueurs étaient surpris de voir que je ne voyais rien dès que je couvrais mon œil gauche, même si ce n'était que la deuxième ligne, par exemple. Ils se disaient : "Câline, voyons donc! Les lettres sont grosses!" Sinon, ça ne m'affecte pas», a raconté Veilleux, sourire en coin.
Selon lui, son jeu ne s'en ressent pas. La seule différence, c'est peut-être quand il se bat, car oui, cet aspect fait partie de son jeu - et ça ne fait pas vraiment plaisir à sa mère, il faut l'admettre. Alors quand il échange des coups, il protège davantage son œil droit.
«Les seules fois que j'ai reçu des coups près de l'œil gauche, je me disais : "Je ne vois pas de ce côté-là anyways!"» a-t-il lancé en riant.
Malgré tout, il démontre une grande prudence.
«C'est pour ça que je porte des visières un peu plus épaisses parce qu'un coup de bâton au visage ne finirait pas juste ma carrière, mais changerait ma vie, que ce soit pour conduire, aller travailler, n'importe quoi. Alors c'est sûr que c'est une chose à laquelle je dois faire attention, mais je n'y pense pas toujours», a dit Veilleux, qui aurait aimé être policier, n'eût été sa vision.
Veilleux a aussi appris à compenser son manque de vision. Mais tout ça est tellement naturel qu'il ne pourrait même pas dire si son comportement est différent sur la glace, s'il se tourne davantage pour mieux voir, par exemple.
«C'est comme un aveugle qui, dans le fond, développe d'autres sens. Mais moi, c'est peut-être la même chose puisque surtout étant jeune, je voyais vraiment moins. C'est peut-être quelque chose que j'ai développé sans m'en rendre compte. Mais au hockey, on se parle beaucoup sur la patinoire. Tu apprends à reconnaître les voix et à faire confiance à tes coéquipiers», a conclu Veilleux.