Danielle-Goyette

Elle voulait en profiter pendant que c'était frais à sa mémoire. Donc, par de froides soirées d'hiver les samedis, Danielle Goyette prenait ses patins et se rendait à la patinoire tout près de chez elle avec toutes les images qu'elle venait de voir à la télévision en tête.
Elle était chanceuse, car puisqu'elle était la deuxième plus jeune d'une famille de huit enfants, ses grandes sœurs sortaient toujours le samedi soir. Ainsi, Goyette pouvait monopoliser la télévision pour regarder les matchs des Canadiens de Montréal et apprendre d'eux.

Pour ses sœurs, le samedi était l'occasion de sociabiliser. Pour Goyette, le samedi était sacré. Pour une fille sans entraîneur, sans séance d'entraînement et sans véritables cours de hockey, la télévision était le moyen d'apprentissage qui lui donnait l'occasion de voir des joueurs s'exécuter au plus haut niveau. Ensuite, elle se précipitait à la patinoire pour les imiter.
Goyette plaçait des boules de neige sur la glace et elle prétendait que c'était les défenseurs qui avaient tenté de ralentir Guy Lafleur ce soir-là. C'était donc des défenseurs qui se dressaient aussi devant elle, alors qu'elle essayait de reproduire leurs gestes sur patins.
« On assemblait les bandes avant qu'il neige, puis on attendait la neige », a révélé Goyette, qui est maintenant âgée de 51 ans. « Je crois que personne n'a pelleté autant de neige sur cette patinoire que moi quand j'étais jeune. On n'avait pas le choix : si on voulait jouer, il fallait pelleter.
« Comme je venais d'une grosse famille, je pense que le sport m'a permis de m'éloigner un peu de ceux qui se crient dessus, des enfants qui se chamaillent à la maison. Pour moi, le sport m'a permis d'être moi-même et d'être moi-même sur la glace. Peu importe les problèmes que j'avais, dès que je mettais un pied sur la glace, tout disparaissait. »
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Rien de tout cela ne devait arriver. La petite fille qui jouait au hockey le samedi soir sur la patinoire du petit village de Saint-Nazaire, au Québec, ne devait pas réaliser de tels exploits. Elle n'était pas censée se tailler une place au sein de l'équipe olympique et elle n'aurait jamais dû le faire encore et encore.
Elle n'était certainement pas censée se retrouver au Temple de la renommée du hockey et pourtant, elle deviendra la cinquième femme à y être intronisée le 13 novembre.
Rien de tout ça ne serait arrivé si Goyette n'avait pas décidé de déménager à Calgary en 1996 pour apprendre l'anglais. Elle a mis toutes ses affaires dans sa petite Mazda blanche, puis elle a pris la route. Elle avait toujours été une hockeyeuse dévouée, mais elle ne s'était pas encore réellement attardée à l'entraînement, au conditionnement physique et aux langues. Elle ne s'était pas vraiment encore immergée là-dedans.
En 1996, le temps était venu de passer à une autre étape à l'approche des Jeux olympiques de Nagano en 1998, qui allaient inclure le hockey féminin pour la première fois. À l'âge de 30 ans, elle a quitté le Québec seule pour aller s'installer en Alberta, une province qu'elle n'avait jamais visitée et où l'on parlait une langue qu'elle ne connaissait pas.
Ce ne fut pas facile et elle ne s'attendait pas à ce que ça le soit.
« C'était tellement fatigant chaque jour et il faut ajouter à ça les entraînements et le fait d'être dans un nouvel endroit et tout le reste », a indiqué Stacey Wilson, la capitaine de l'équipe olympique canadienne en 1998 et la première colocataire de Goyette à Calgary, où toutes les joueuses qui devaient se rendre à Nagano s'étaient rassemblées en août 1997. « Elle a dû ressentir de la frustration au-delà de ce qu'on peut imaginer parce que pour nous, [l'anglais] était notre langue maternelle.
« Mais elle a persévéré, elle a fait fi de la frustration et de la fatigue pour continuer de foncer. »
Depuis cinq ans, elle était membre de l'équipe nationale, mais sans pouvoir bien interagir et communiquer avec les autres. Elle venait d'une famille francophone et elle n'avait jamais eu besoin de parler anglais avant. Maintenant, c'était nécessaire.
« Je ne pense pas que j'aurais surmonté tout ça si je n'avais pas été passionnée par le sport. Ç'aurait été trop difficile, a mentionné Goyette. On s'entraîne, on est épuisé physiquement et mentalement aussi parce qu'on ne comprend pas tout ce qui se passe autour de nous. »
Elle a dû se trouver un emploi à Calgary sans parler anglais. Elle s'est finalement retrouvée à l'anneau de glace olympique, où elle nettoyait les vestiaires et les toilettes. Elle s'entraînait le matin de 7 h à 8 h, elle rentrait faire une sieste, puis elle retournait s'entraîner de midi à 15 h et elle travaillait de 16 h à 23 h, cinq jours par semaine.
« Elle a dû surmonter plus d'obstacles que les autres, je crois », a déclaré Roanne Levitt, son amie depuis plus de 30 ans et son ancienne coéquipière. « Elle ne faisait rien à moitié. Tout ce que l'entraîneur ou le soigneur lui disait de faire, elle le faisait, peu importe si c'était douloureux ou si ça la rendait malade. »
Elle était prête à tout, même à travailler au rayon de la plomberie chez Home Depot après les jeux de Nagano. C'était une des mesures du programme olympique qui permettait aux athlètes de gagner un salaire complet en travaillant à temps partiel pour ainsi consacrer plus d'heures à leur entraînement. Sans surprise, elle était la seule femme au rayon de la plomberie.
« Je pense que c'est un exemple vivant de détermination. Elle a traversé le pays, elle ne parlait pas un mot d'anglais, elle a occupé un emploi à temps partiel, elle a pourchassé son rêve sans jamais se plaindre », a lancé Hayley Wickenheiser, qui a joué avec Goyette au sein de l'équipe olympique canadienne et sous ses ordres à l'Université de Calgary, la formation dirigée par Goyette qui a remporté le championnat national en 2012. « Elle est un exemple à suivre pour tous les jeunes. Vous n'avez aucune raison pour ne pas faire la même chose. Elle a eu des problèmes d'argent, avec la langue, tout, mais elle a réussi à franchir tous ces obstacles. »
Goyette a admis qu'elle ne pensait jamais survivre cinq mois en Alberta. « Et pourtant, ça fait 21 ans », a-t-elle ajouté.
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Calgary a fait toute la différence. Soudainement, elle avait des entraîneurs et du soutien autour d'elle. Elle a commencé à comprendre ce que ses entraîneurs disaient, elle pouvait maintenant mieux comprendre les compliments et les critiques qu'ils lui faisaient. Puis, elle a commencé à apprendre.
« Je jouais en lisant le jeu et en réagissant, a expliqué Goyette. Je ne connaissais pas les systèmes. Aucune joueuse de l'équipe nationale ne voulait jouer avec moi parce que je ne connaissais pas les X et les O… Je n'ai pas eu d'entraîneur pour me montrer comment jouer quand j'étais petite. Je regardais la télévision et j'essayais de reproduire ce que j'avais vu pendant la partie. »
Pendant longtemps, ce fut suffisant.
« C'est une athlète, et pas seulement une hockeyeuse, tellement douée et talentueuse, a renchéri Wickenheiser. Elle aurait pu prendre un bâton de baseball ou une raquette de tennis et elle aurait probablement eu autant de succès. Son habileté et son intelligence athlétiques étaient exceptionnelles. »
Goyette était une joueuse menaçante à l'attaque, créative et tenace. Comme elle l'a si bien dit : « J'étais une joueuse offensive parce que je n'avais pas appris l'aspect défensif du jeu avant d'avoir atteint la trentaine. »
« Elle était très intuitive, comme tous les grands joueurs. Personne ne devient un grand joueur en réfléchissant au jeu. Personne... Ce n'était pas toujours facile de jouer avec elle parce qu'il fallait s'adapter à elle. C'est comme ce que l'on voit avec plusieurs joueurs étoiles. Ce n'est pas toujours facile de jouer avec eux parce qu'ils ont toujours une longueur d'avance », a ajouté Wickenheiser.
Goyette a participé trois fois aux Jeux olympiques (remportant deux médailles d'or) et à neuf championnats mondiaux féminins (remportant huit titres). Elle a mis fin à sa carrière en 2007 à l'âge de 41 ans et elle occupait alors le deuxième rang de l'histoire des Jeux olympiques avec 15 buts et le quatrième de l'histoire des Championnats du monde avec 68 points (37 buts). Elle a considéré poursuivre sa carrière pour participer aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010, mais le poste d'entraîneur de l'Université de Calgary lui a été offert et le temps était venu.
« À mon avis, c'est une icône. Elle n'était pas seulement talentueuse, elle donnait aussi toujours le meilleur d'elle-même, a déclaré Wilson. En plus, il y a sa longévité. Elle était encore l'une des meilleures joueuses au monde quand elle a pris sa retraite. »
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Quand Goyette a commencé à songer à s'installer à Calgary, elle en a parlé avec son frère. Elle lui a dit qu'elle voulait participer aux Jeux olympiques, qu'elle voulait voir ce que le hockey pouvait lui apporter et ce qu'elle pouvait donner au hockey.
« Il m'avait dit que je n'irais jamais aux Olympiques », s'est-elle rappelée.
Elle lui a donc lancé un pari : 500 dollars si elle se taille un poste avec l'équipe. Cinq cents dollars pour un rêve.
Presque deux décennies après Nagano, 11 ans après avoir été le porte-drapeau du Canada aux Jeux olympiques de Turin en 2006, la voici aux marches du Temple de la renommée. Elle est bien loin de cette petite fille qui ne parlait pas anglais et qui n'avait aucune idée de tout ce qu'elle allait accomplir, de cette petite fille qui n'avait que l'amour du sport, une patinoire et une équipe de joueurs qu'elle essayait d'imiter du mieux qu'elle le pouvait.
Elle a réussi tout ce qu'elle a entrepris, tout ce qu'elle a imaginé et même tout ce qu'elle n'a jamais osé imaginer.
Et ces 500 dollars? Elle ne les a pas encore réclamés.