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Choix de première ronde des Nordiques de Québec au Repêchage 1993 de la LNH, Jocelyn Thibault a disputé 586 matchs au cours de sa carrière de 15 saisons dans la LNH. Il a porté l'uniforme des Nordiques, de l'Avalanche du Colorado, des Canadiens de Montréal, des Blackhawks de Chicago, des Penguins de Pittsburgh et des Sabres de Buffalo, signant 238 victoires. Il a été entraîneur des gardiens de l'Avalanche pendant deux saisons et il est désormais propriétaire du Phoenix de Sherbrooke dans la LHJMQ. Il a accepté de collaborer avec l'équipe de LNH.com pour traiter des dossiers chauds devant les 31 filets de la Ligue.
Marc-André Fleury vient de boucler la boucle.

En devenant le quatrième gardien le plus victorieux de l'histoire de la LNH derrière Martin Brodeur, Patrick Roy et Roberto Luongo, mercredi, le gardien des Golden Knights de Vegas est en quelque sorte venu fermer la marche de cette génération de portiers québécois qui a longtemps dominé aux quatre coins de la Ligue.
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Au point de vue personnel, c'est tout un exploit pour Fleury - surtout qu'il n'est qu'à cinq gains de se hisser au troisième rang devant Luongo (489). Il est arrivé chez les Penguins de Pittsburgh avec toute la pression qui vient avec le fait d'être un premier choix au total et il a sans contredit répondu aux attentes.
Elle n'est pas encore terminée, mais on peut déjà dire qu'il a connu une carrière extraordinaire, surtout qu'elle a été marquée de hauts et de bas. Malgré des circonstances pas toujours faciles, Fleury a toujours eu beaucoup de plaisir à jouer, et c'est sans doute ce qui lui a permis de traverser les périodes plus creuses et de toujours se relever. Je souhaite à tout jeune de commencer sa carrière avec une attitude semblable.
Après avoir devancé Luongo, est-ce qu'il réussira à rejoindre Roy (551)? Je crois que c'est atteignable, on parle de 66 victoires supplémentaires à partir de maintenant. C'est cependant une autre histoire pour la marque établie par Brodeur (691). Il n'y a rien d'imbattable, mais ce sera extrêmement difficile. Pour Fleury et aussi pour tous les autres.
Quand on regarde ça froidement, c'est un record qui risque de tenir pendant encore très longtemps. Je ne suis pas certain qu'on va voir un gardien y arriver de notre vivant. Faites un calcul rapide : sur une carrière de 20 ans - ce qui est déjà très rare - c'est un rythme de 35 victoires par saison. C'est énorme!
Martin était une force de la nature pour jouer autour de 70 matchs par saison. Il avait un super bon sens du hockey et il savait ménager ses énergies. Sans rien lui enlever, il a aussi joué derrière une équipe qui a dominé défensivement pendant de longues années; il ne connaissait pas souvent des soirées de 40 tirs.
La mode est désormais au partage des tâches devant le filet, et les dynasties de la trempe de celles des Devils du New Jersey, de l'Avalanche du Colorado ou des Red Wings de Detroit du tournant des années 2000 sont maintenant chose du passé en raison du plafond salarial.
Dans cette conjoncture, il sera assez difficile de s'approcher du quatuor québécois, même si les marques de Luongo et de Fleury - pour l'instant - sont plus accessibles. Est-ce que ça veut dire que la mode des bons duos de gardiens est là pour de bon? C'est difficile à dire.
On ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve. Il y a à peine dix ans, jamais on n'aurait pensé que des gardiens no 1 seraient limités à une cinquantaine de matchs par saison. C'est pourtant l'approche préconisée par la majorité des équipes dominantes de la Ligue. Je ne vois pas ça changer à court terme, mais personne ne sait à quoi va ressembler le hockey dans 15 ou 20 ans.
Influence québécoise
C'est aussi une page qui se tourne pour le hockey québécois : Fleury est le dernier de la longue lignée de gardiens qui ont été inspirés par Patrick Roy, et qui en ont inspiré d'autres par la suite.
Dans les années 90 et au début des années 2000, nous avions un grand avantage sur les gardiens des autres pays. En raison de l'influence de Patrick et de son entraîneur François Allaire, les Québécois étaient techniquement en avance sur les autres. Allaire avait bien compris comment les portiers pouvaient tirer profit du style de jeu de l'époque pour s'imposer et dominer au plus haut niveau.

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La mentalité était de couvrir le plus d'espace possible dans son filet - c'est comme ça que j'ai appris, et c'était la même chose pour les autres. La raison était simple. À l'époque, le hockey était plus lent, il y avait beaucoup d'accrochage et le jeu était très physique. Un joueur qui décidait d'aller se planter devant le filet adverse devait accepter de payer le prix. Et pas à moitié.
L'avantage que ça procurait aux gardiens, c'est que les joueurs avaient moins de temps pour décocher leurs lancers, et incidemment, les chances de marquer étaient de moindre qualité qu'aujourd'hui. Disons que les joueurs étaient plus pressés de se débarrasser de la rondelle. On travaillait donc davantage en superficie et on accordait une grande importance à notre jeu de jambières pour contrer les tirs bas.
Tout ceci est encore vrai, mais la position demande beaucoup plus d'agilité maintenant qu'à l'époque. L'approche d'Allaire, et aussi celle de son frère Benoit, a fait des petits un peu partout dans le monde, et certains pays ont été plus rapides à adapter ce modèle à la nouvelle réalité. Maintenant, les gardiens sont grands et gros, mais ils sont aussi très athlétiques.
Le Québec a perdu son avantage concurrentiel et il doit le retrouver.
Pénurie de modèles
Comment y parvenir? Là est la question. Et si j'avais la réponse, ce serait facile : je donnerais des conférences et je ferais probablement beaucoup d'argent.
Il y a évidemment plusieurs pistes de solution, mais pour moi, la disparition des modèles québécois dans la LNH est un problème. Ç'a beaucoup d'importance. Patrick Roy a inspiré beaucoup de jeunes, tout comme l'ont fait les Brodeur, Luongo, Fleury, Félix Potvin, Jean-Sébastien Giguère et tous les autres par la suite.

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Il y a une dizaine d'années, combien de jeunes avaient des jambières jaunes comme Fleury dans les arénas du Québec? C'était fou. À une époque, tout le monde avait celles de Brodeur. Je me souviens même que Marc-André m'avait dit à son arrivée à Pittsburgh qu'il avait mon équipement rouge pour jouer dans la rue à l'époque. C'est une roue qui a tourné pendant longtemps. Les jeunes veulent imiter leurs idoles.
Le fait de ne plus avoir de héros québécois sous nos yeux chaque semaine a eu un impact sur l'intérêt des jeunes envers la position dans les dernières années. Carey Price est une influence dans une certaine mesure, mais ce n'est pas à la hauteur du sentiment d'appartenance qu'on avait dans le temps. Il faut réintéresser les jeunes à la position.
Un autre aspect, c'est que l'étau se resserre drôlement quand on regarde les exigences physiques requises pour occuper le poste dans la LNH. Il faut d'abord que le gardien mesure au moins 6 pieds 2 pouces, et ensuite qu'il possède le talent et les habiletés athlétiques pour atteindre le plus haut niveau. Ça fait beaucoup de cases à cocher, et ils sont peu nombreux à toutes les remplir.
Au niveau plus technique, il faut développer le sens du jeu de nos gardiens. C'était un élément important dans mes années, et ce l'est encore plus aujourd'hui. Il faut comprendre la game, la lire un peu comme un livre qui se déroule sous nos yeux. Je vois beaucoup de jeunes arriver dans le midget AAA et dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) avec une certaine déficience au chapitre de la lecture du jeu et de l'anticipation. C'est correct d'être solide techniquement, mais il faut voir venir les coups à l'avance.
Je n'ai pas la science infuse, mais ce sont des éléments à explorer pour renverser la tendance. En espérant que ça se fasse au plus vite et qu'un jeune gardien recommence un nouveau cycle, comme l'a fait Patrick Roy, il y a plus de 30 ans.
\Propos recueillis par Guillaume Lepage, journaliste LNH.com*