1Guy Lafleur with frame

MONTRÉAL -- Pour être le meilleur, il faut travailler plus fort que les autres.

C'est une leçon que Guy Lafleur a comprise dès un très jeune âge.
Georges-Hébert Germain, auteur du livre Guy Lafleur, L'Ombre et la Lumière, décrit la scène comme suit.
Un jeune garçon est aperçu marchant sur la rue Jacques-Cartier à Thurso, dans la brume matinale. Il tourne à droite et s'engage sur la rue Bourget, puis traverse rapidement le chemin de fer pour se retrouver derrière l'aréna local, qui porte aujourd'hui son nom.
Les portes de l'aréna sont verrouillées, mais Lafleur a un plan; il a repéré des planches chambranlantes entourant la chute servant à extirper le surplus de neige sur la patinoire.
Il tasse les planches et balance sa poche de hockey à l'intérieur. De l'autre côté, la noirceur règne. Il se faufile lentement à travers le labyrinthe qu'est l'aréna, jusqu'à ce qu'il reconnaisse une odeur qui lui est familière; celle de la glace fraîchement faite.
Tout en tentant de se faire discret, il travaille son maniement de rondelle et son coup de patin. Mais l'envie du futur membre du Temple de la renommée d'envoyer quelques rondelles sur la bande est trop grande pour résister.

La carrière de Guy Lafleur en images

Il effectue un tir. Un son percutant retentit dans tout l'aréna. Il adore ce qu'il entend. Il s'élance de nouveau. Puis recommence.
« Qu'est-ce que tu fais là? », crie le responsable de l'aréna, Ti-Paul Meloche. « Il est six heures du matin! Comment as-tu fait pour entrer? »
«J'ai passé à travers le mur », explique Lafleur.
« Ah, parce qu'en plus, tu passes à travers les murs! », réplique Meloche, vêtu d'un pyjama.
Meloche convient d'une entente avec Lafleur. Il ne fixera pas les planches chambranlantes tant et aussi longtemps que Lafleur gardera le secret et qu'il limitera le bruit qu'il fait sur la glace.
Mais ce n'est pas une entente pro-boni. Pour chaque heure passée sur la patinoire, Lafleur doit faire une heure de travail à l'aréna.
La plupart des amateurs de hockey ont au moins une histoire à raconter au sujet de Lafleur, que ce soit une interaction qu'ils ont eue, un souvenir d'une coupe Stanley ou un récit valsant avec la mythologie ayant pour but de faire perdurer sa mémoire génération après génération.
Véritable légende, Lafleur aura eu sur la grande famille des Canadiens et le monde du hockey un impact dépassant largement ses prouesses sur la glace.
« J'ai eu de la chance », a reconnu le propriétaire des Canadiens, Geoff Molson. « J'ai pu le voir dès le tout début. J'ai pu le voir jouer quand j'étais enfant. Je le regardais avec admiration, et je n'arrivais pas à croire à quel point j'étais privilégié de pouvoir parler au meilleur joueur de hockey au monde à cette époque.
« C'est un gagnant. C'est quelqu'un qui était complètement dévoué à être la meilleure version possible de lui-même chaque jour. »
Lafleur, qui portait le numéro 4 sur son chandail en guise d'hommage à l'exceptionnel Jean Béliveau avant de débarquer à Montréal, s'est en fait déjà fait offrir le numéro par l'ancien capitaine légendaire des Canadiens lui-même.
Mais Béliveau, toujours empreint d'une grande sagesse, s'était ravisé.

GettyImages-622569706 - Guy Lafleur and Jean Beliveau

« N'essaie pas d'être un deuxième Jean Béliveau, a conseillé le Gros Bill. Sois le premier Guy Lafleur. Choisis un numéro et fais-en le tien. »
Et c'est ce qu'il a fait, rien de moins.
Pas seulement grâce à son jeu dominant sur la glace, qui l'a mené à une panoplie de trophées et de coupes Stanley, sans mentionner le retrait de son chandail en 1985, mais aussi grâce aux souvenirs qu'il a laissés et à l'impact qu'il a eu sur tous les amateurs de hockey.
« J'ai perdu mon premier héros », a expliqué l'entraîneur-chef par intérim actuel des Canadiens, Martin St-Louis. « Il y a des gens qui ont un impact sur nous sans faire grand-chose, juste de par leur façon de se comporter et de mener leur vie. J'ai beaucoup appris de Guy le jour où il est venu aux funérailles de ma mère. »

GettyImages-84447721 - Guy Lafleur and Martin St-Louis

C'est une impression semblable qu'ont eue beaucoup de membres dans le vestiaire du Tricolore.
« En ayant la chance d'être ici depuis 10 ans, j'ai pu voir l'impact qu'il a eu sur chaque partisan des Canadiens de Montréal, l'importance qu'il avait pour tant de gens en grandissant et la joie qu'il amenait au monde. C'était une personne spéciale. On est aussi fiers de porter le logo des Canadiens de Montréal en partie grâce à des gens comme Guy Lafleur.
« Il a toujours beaucoup soutenu notre groupe, indépendamment de ce qu'on traversait. Il avait une grande importance pour beaucoup d'entre nous. Quand on parle des Canadiens de Montréal, c'est l'un des premiers noms qui viennent en tête. »
Les Canadiens ont perdu un membre de leur famille, vendredi, l'un des joueurs les plus flamboyants à avoir foulé la glace.
Quelqu'un qui a forgé l'illustre histoire de la franchise, quelqu'un qui a inspiré des milliers de gens, sinon plus, à travers le pays et à travers le monde.
Et c'est pour cette raison que, tout comme l'impact qu'il a eu sur Ti-Paul Meloche à Thurso, l'héritage laissé par Guy Lafleur perdurera à tout jamais.
Pas seulement au cœur de la prochaine génération de hockeyeurs, mais aussi à travers les souvenirs impérissables qu'il a ancrés au passage dans la mémoire d'innombrables amateurs de hockey.