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VANCOUVER -Martin Brodeur n'était qu'un adolescent qui grandissait à Montréal lorsque son père a fait germer l'idée qui allait changer pour toujours la façon de pratiquer le métier de gardien de but.
Denis Brodeur était photographe pour les Canadiens de Montréal à l'époque et il était impatient de dire à son fils ce qu'il avait vu à l'occasion d'un match disputé contre les Flyers de Philadelphie.

« Quand je me suis levé avant d'aller à l'école, mon père est entré et il m'a dit, "Mon garçon, c'est incroyable ce que j'ai vu hier soir". Je n'avais pas vu le match, alors je ne savais pas de quoi il parlait, mais Ron Hextall avait joué et il a dit, "Ce gars-là est comme un troisième défenseur", a raconté Brodeur à LNH.com par le passé. Ça m'est resté en tête et j'ai fini par voir un de ses matchs, je l'ai vu jouer et j'étais incrédule. J'ai pensé, "Tu sais quoi, c'est ce que je veux faire, je veux incorporer ça dans mon jeu". Alors j'ai commencé à travailler là-dessus. »
Quand Brodeur a pris sa retraite en 2015, son nom avait été gravé sur 13 trophées de la LNH et avait été écrit à côté de 20 records de la LNH, dans la plupart des cas avec une forte avance sur le gardien occupant le deuxième rang sur la liste.
C'est donc un peu surprenant que Brodeur, dont la carrière de 22 saisons fait l'objet d'un hommage de quatre jours qui se terminera par le retrait de son numéro 30 par les Devils du New Jersey, mardi, ait terminé au troisième rang dans les annales de la LNH pour les mentions d'aide en carrière récoltées en saison régulière, derrière Tom Barrasso et Grant Fuhr, avec un total de 45. Il a par ailleurs terminé à un point de Barrasso pour les points en carrière, avec 47.
C'est quelque peu ironique, parce que malgré toutes les louanges et tous les trophées qu'il a reçus au fil de sa carrière pour avoir arrêté des rondelles, c'est l'habileté de Brodeur à manier le disque qui a laissé l'empreinte la plus indélébile sur le hockey.
Certes, c'est Hextall qui a lancé la tendance qui l'a inspiré, et au moment où Brodeur a pris sa retraite, d'autres gardiens comme Marty Turco pouvaient effectuer des passes plus spectaculaires que lui. Mais Brodeur et les Devils ont redéfini la façon dont le talent d'un gardien à contrôler la rondelle pouvait être utilisé par une équipe, alors qu'ils se sont servis de son talent de passeur comme pierre d'assise pour construire un système défensif des plus hermétiques, et aussi pour sortir de leur zone de façon rapide et propre afin de relancer le jeu en direction opposée.
Brodeur, en fait, occupe le sommet de la liste des gardiens pour les points quand on ajoute les 13 points qu'il a amassés en séries éliminatoires de la Coupe Stanley. Il est par ailleurs le seul gardien à avoir inscrit deux buts en saison régulière, et trois au total quand on ajoute le filet qu'il a réussi en éliminatoires. Il est également le seul gardien à avoir marqué un filet vainqueur, et quand la Ligue a ajouté la zone en forme de trapèze derrière la cage en vue de la saison 2005-06 afin de limiter la surface où les gardiens pouvaient manier la rondelle, plusieurs ont appelé cela « la règle Brodeur ».
Selon Brodeur, tous ses succès en tant que manieur de rondelle ont commencé par cette suggestion que lui a faite son père Denis, qui est décédé le 26 septembre 2013 à l'âge de 82 ans. Et ils ont également été rendus possibles par une énorme somme de travail qu'il a abattue par la suite.
« J'avais 14 ou 15 ans quand j'ai commencé à travailler là-dessus, a déclaré Brodeur à LNH.com vers la fin de sa carrière de joueur. Je me souviens que j'étais dans le midget AAA, j'allais à une école de hockey et je me rendais au gymnase pour tirer ces grosses rondelles pesantes de couleur orange pendant une demi-heure, juste pour devenir plus fort. La clé, c'est de jouer constamment avec la rondelle, il faut s'entraîner… Et tu dois adorer ce que tu fais. »
Le plaisir de jouer n'a jamais fait de doute quand Brodeur s'adonnait au métier de gardien, mais le secret de son succès dans sa façon de manier la rondelle était surtout attribuable au fait qu'il ne s'est jamais laissé gagner par la tentation d'essayer seulement des passes spectaculaires. Quand Mike McKenna, qui a passé deux de ses 11 saisons dans les rangs professionnels dans l'organisation des Devils et qui est tenu en haute estime en ce qui a trait au maniement de la rondelle, a écrit un article pour InGoal Magazine dans lequel il donnait des conseils sur la façon de gérer le disque, un de ses points-clés était la façon dont Brodeur ne cherchait que rarement à tenter la longue passe de 60 pieds pour l'échappée. Celui-ci y allait plutôt de feintes subtiles, mais intelligentes, de changements d'angle et des petites passes soulevées qui avaient le don de déjouer les joueurs adverses en échec avant et de rejoindre des coéquipiers de manière efficace.
« Hextall a révolutionné la position de gardien en raison de son habileté à tirer sur de longues distances et haut dans les airs; jamais auparavant un gardien n'avait réussi à dégager sa zone aussi régulièrement en tirant littéralement la rondelle au-dessus de la tête des joueurs qui s'amenaient en échec avant, a souligné McKenna. Mais tout a changé avec Martin. Il pouvait faire plus que bloquer la rondelle et dégager sa zone à l'occasion. Le fait d'être aussi intelligent et alerte lui a permis de réaliser des jeux. Des passes, des lobs, des dégagements, ralentir le jeu… Martin pouvait tout faire. Et plus important encore, son équipe en a immédiatement pris note et lui a donné la liberté de le faire. En peu de temps, Brodeur est véritablement devenu un troisième défenseur pour les Devils sur la glace, alors qu'il travaillait de façon très fluide avec ses coéquipiers pour lancer la sortie de zone. »
Et si ça s'est avéré une stratégie aussi efficace au New Jersey, c'est en raison du travail acharné de Brodeur, qui conseillait lui-même aux jeunes gardiens de manier la rondelle le plus souvent possible.
« La clé, c'est simplement de tirer la rondelle, a déclaré Brodeur à LNH.com durant sa carrière de joueur. Chaque fois que j'en ai la chance, je vais faire une passe à un de mes joueurs à l'entraînement. Chaque fois que j'ai la chance de dégager la rondelle, je vais le faire pour essayer de voir jusqu'où je suis capable de l'envoyer. Et lorsqu'ils font des exercices à l'autre bout et que je n'ai pas le goût de bloquer des tirs, je vais chercher une cinquantaine de rondelles et je vise la barre transversale, ou simplement au-dessus du filet, et je vais le faire du revers aussi. Je me place aussi derrière mon filet et je demande à quelqu'un de patiner d'une bande à l'autre le long de la ligne rouge, et j'essaie de la mettre sur la palette de son bâton. »
Brodeur atteignait les lames de bâton de ses coéquipiers plus souvent que celles d'adversaires, mais sa capacité à relancer le jeu servait aussi à autre chose. Il y a des gens qui avaient tendance à lui accorder peu de mérite parce qu'il jouait derrière une défensive étanche mise de l'avant par les Devils; mais plusieurs des homologues de Brodeur se disent impressionnés par la capacité qu'il avait de rester alerte les soirs où il n'était pas tellement occupé, surtout qu'il était un athlète qui jouait avec beaucoup de mouvement et de fluidité, une façon de faire qui dépend beaucoup du synchronisme et du rythme qu'a un gardien.
Le gardien des Predators de Nashville Pekka Rinne est l'un de ceux qui admirent le talent qu'a Brodeur à cet égard, alors qu'il est lui-même un gardien qui cherche à trouver le bon équilibre quand il reçoit moins de tirs, et reconnaît qu'un gardien peut justement rester impliqué dans ce genre de match s'il cherche à contrôler la rondelle plus souvent.
« C'est là une des choses que j'essaie de faire, a indiqué Rinne. J'ai le sentiment que ça m'aide à rester concentré sur le match à tout moment. »
C'est là un exemple de plus de la façon dont Brodeur a transformé le métier de gardien, même quand ce n'était pas en faisant un arrêt.