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ORCHARD LAKE, Michigan - Quand les grands joueurs des Red Wings de Detroit prennent leur retraite, on leur fait habituellement l'honneur d'organiser une conférence de presse à la salle Olympia au Joe Louis Arena. Ils portent un habit. Ils s'assoient sur une estrade avec une affiche en arrière-plan portant la mention « HOCKEYTOWN ». Entourés des dirigeants du club, de membres de leur famille et d'amis, ils ressassent leurs souvenirs dans une atmosphère chaleureuse et empreinte d'émotions.

Mais Pavel Datsyuk, un quadruple lauréat du trophée Lady Byng, un triple gagnant du trophée Selke, un double champion de la Coupe Stanley, le « Magic Man », a annoncé qu'il quittait l'équipe entre deux séances d'entraînement de son camp de hockey dans une institution scolaire de la banlieue de Detroit, samedi. Il était en survêtements. Il était debout devant un rideau de couleur marron et derrière un lutrin en bois sans logo. Il a parlé devant une poignée de journalistes, quelques caméras de télé et des rangées de sièges vides.
« C'est une décision qui n'a pas été facile », a déclaré Datsyuk dans une salle de conférence qui se trouvait à l'étage supérieur de l'aréna de l'école St. Mary's Preparatory, qui se trouve à environ 45 minutes de Joe Louis Arena. « Mais le temps est venu de retourner à la maison. »
Un peu plus tard, le directeur général des Red Wings Ken Holland s'est présenté dans le vestiaire du Joe Louis Arena et a fait savoir qu'il n'y avait aucune animosité entre le hockeyeur et le club. Les circonstances étaient plutôt attribuables à un conflit d'horaire, parce que Gordie Howe a été exposé en chapelle ardente mardi et ses funérailles ont suivi mercredi, parce que les dirigeants étaient en réunion par la suite et l'ouverture du camp de Datsyuk a suivi en fin de semaine.
« Il n'y a pas de rancune, pas le moindrement, a dit Holland. Il a été un membre incroyable des Red Wings. »
C'était toutefois un dénouement un peu surréaliste, au goût amer, pour un joueur qui a connu une grande carrière.
Datsyuk, qui aura 38 ans le 20 juillet, a signé un contrat de trois ans, mais au bout du compte, il en aura écoulé seulement les deux tiers. Il laissera donc les Red Wings composer avec un montant de 7,5 millions $ qui sera comptabilisé à la masse salariale en vue de la saison 2016-17. Il a pris cette décision non pas parce que son corps est usé ou parce qu'il a perdu le désir de jouer, mais parce qu'il veut jouer dans la KHL. Il discutera avec son agent Dan Milstein ce mardi afin d'en savoir plus sur les offres de clubs de la KHL qu'il a reçues.
Pour l'instant, il est impossible de juger les dommages que cela causera. Tout dépend si les Red Wings pourront échanger le contrat à une autre équipe qui serait prête à absorber le montant aux fins du plafond salarial, quels actifs ils devront donner pour y arriver et ce qu'ils seront capables de faire avec la marge de manœuvre potentiellement dégagée pour améliorer leur alignement au moyen de transactions et d'embauches de joueurs autonomes. Dans le meilleur des cas, ils réussiront à se dégager assez d'espace sous le plafond salarial pour faire l'acquisition du capitaine du Lightning de Tampa Bay Steven Stamkos.
Mais ce n'est pas de bon augure. Il y a peu d'équipes qui sont capables d'absorber un tel montant au sein de leur masse salariale, encore moins prêtes à le faire, et le prix pourrait être trop élevé au goût des Red Wings. Ils ne veulent pas céder de jeunes espoirs de premier plan ni des choix au repêchage pour effacer 7,5 millions $ de leur masse salariale pendant une saison, pas au moment où ils tentent de rebâtir en vitesse. Même si Datsyuk avait décidé de partir plus tard, l'équipe aurait été confrontée au même défi, soit d'injecter du nouveau sang à son noyau de joueurs. Datsyuk, le capitaine Henrik Zetterberg et le défenseur Niklas Kronwall ne sont plus les joueurs qu'ils étaient.
« Nous verrons si nous pourrons nous départir du contrat, a affirmé Holland. Je ne suis pas super optimiste. … Ce n'est certainement pas évident quand tu as les mains liées par un montant de 7,5 millions $ associé à un joueur que tu n'as plus. C'est une perte considérable, ça crée un trou énorme et c'est une situation très, très difficile. »
Tout le monde doit accepter une part du blâme. Holland connaissait les règles et il savait quels étaient les risques associés à la décision de lui faire signer un contrat de trois ans alors qu'il était âgé de plus de 35 ans. Ni lui ni l'agent qui a négocié le contrat pour Datsyuk, Gary Greenstin, ne se sont assuré que Datsyuk comprenne les règles. Avant de signer le contrat, Datsyuk ne leur a pas dit qu'il était possible qu'il ne le respecte pas jusqu'au bout ; et après qu'il l'eut signé et qu'on lui eut expliqué les règles, il a quand même décidé de quitter les Red Wings. En fin de compte, Datsyuk est celui qui rompt le contrat.
« C'est ma décision », a souligné Datsyuk.
Ceci étant dit, il semble que tout le monde avait les meilleures des intentions. Les choses ne se déroulent pas toujours comme on le prévoyait au début. La vie est ainsi faite.
Pourquoi Holland n'a-t-il pas conclu des ententes d'un an avec Datsyuk comme il l'avait fait pour des joueurs comme Steve Yzerman, Chris Chelios et Nicklas Lidstrom lorsque ceux-ci étaient en fin de carrière ? Après la saison 2013-14, Greenstin a proposé à Holland de s'entendre sur les termes d'un contrat de cinq ans. Greenstin a dit à Holland que Datsyuk voulait prendre sa retraite en tant que membre des Red Wings.
« Que serait-il arrivé, vous croyez, si j'avais fait une contre-offre en proposant un contrat d'un an ?, a lancé Holland. Il serait allé avec une autre équipe.»
Holland était mal à l'aise avec l'idée d'un contrat de cinq ans. Greenstin et lui ont échangé plusieurs propositions. Datsyuk a fini par demander directement à Holland quel était le contrat le plus juste en terme de durée, selon lui.
« J'ai dit, 'Allons-y pour un contrat de trois ans. Si tu veux joueur ici jusqu'à l'âge de 41 ou 42 ans, nous pourrons continuer avec des ententes d'un an', a fait savoir Holland. Heureusement que ce n'était pas un contrat de cinq ans. Nous serions aux prises avec un problème plus grave encore. »
Datsyuk a affirmé qu'il avait l'intention de respecter son contrat jusqu'à la fin à l'époque. Mais il avait une fille née d'un premier mariage qui vivait en Russie et qu'il voyait rarement, et une semaine après avoir signé son nouveau contrat, il a dit à Holland que la saison 2014-15 serait sa dernière dans la LNH.
Un mois ou deux plus tard, Datsyuk a mis Zetterberg au courant. En décembre ou en janvier cet hiver-là, Holland a commencé à discuter avec Greenstin dans le but de chercher à convaincre Datsyuk de rester, lui expliquant les effets que son départ aurait sur l'équipe, puis Datsyuk a remplacé Greenstin par Milstein. Datsyuk et Milstein ont initialement tenté de trouver des moyens de se défaire du contrat sans que cela ait un impact négatif sur les Red Wings.
Après la saison 2014-15, Holland a convaincu Datsyuk de respecter son contrat en vue de la saison 2015-16, en lui disant que s'il revenait, mais voulait quitter avant 2016-17, les Red Wings en accepteraient les conséquences. Il espérait que Datsyuk revienne, ait du plaisir et décide de respecter son contrat en 2016-17 aussi. Mais Datsyuk a fait savoir que plus le temps passait, plus c'était difficile pour lui d'être loin de chez lui. Sa fille aura 14 ans au mois d'août.
« Pav était préoccupé par les effets que cela aurait sur les Red Wings, a dit Holland. Pav n'a pas créé cette situation de façon volontaire. C'est vrai que je suis déçu qu'il ne respectera pas la troisième saison de son contrat, mais j'ai passé 18 mois à discuter avec lui et Dan Milstein, et je comprends les raisons qui motivent sa décision. Son cœur n'y est plus. »
Une partie de son coeur appartiendra toujours aux Red Wings, par contre. Souvenez-vous : Datsyuk s'est amené à Detroit quand l'équipe l'a réclamé au 171e rang du repêchage 1998 de la LNH. Il ne savait pas un mot d'anglais. Il ne savait rien de la culture nord-américaine. Il ne connaissait pas les subtilités du hockey tel que pratiqué dans la LNH.
« Ils m'ont donné une chance de m'adapter », a noté Datsyuk.
La ville de Detroit est quand même devenue son « deuxième chez-lui », selon Datsyuk. Il est devenu un des meilleurs joueurs de hockey dans les deux sens de la patinoire, et aussi un des plus spectaculaires. Il a inscrit 314 buts et 918 points en 953 matchs du calendrier régulier dans la LNH, en plus de 42 filets et 113 points en 157 rencontres éliminatoires, tout cela avec les Red Wings. Il offrait une rare combinaison de dynamisme et de créativité, surprenant souvent un adversaire en possession de la rondelle quand il se repliait en défensive et y allant de gestes de prestidigitateur à l'attaque. L'entraîneur des Capitals de Washington Capitals Barry Trotz a déjà dit qu'il y avait de la « joie » dans son jeu, et que c'était un plaisir de le regarder jouer.
Maintenant, la joie n'y est plus. Pour son dernier numéro, le « Magic Man » a choisi de disparaître, soudainement et sans cérémonie.