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CANTON, Massachusetts - Les souvenirs de cette journée demeurent si vifs. L'air. La glace. Le terrain. La foule.
Les détails sont toujours là, prêts à être ressassés. Elle semble tout voir alors qu'elle décrit la scène, la sensation de s'asseoir sur le banc et de regarder vers les gradins, ses premiers coups de patins sur la patinoire.

Il s'agit d'un moment que les joueuses n'étaient pas certaines de vivre, et ce jusqu'au matin du match, après de nombreux rebondissements dans l'organisation. Mais voilà les joueuses le 31 décembre sur le terrain du Gillette Stadium, domicile des Patriots de la Nouvelle-Angleterre, prenant part aux festivités entourant la Classique hivernale Bridgestone 2016 de la LNH. Les femmes -- représentant le Pride de Boston de la Ligue nationale de hockey féminin (NWHL) et les Canadiennes de Montréal de la Ligue canadienne de hockey féminin (LCHF) -- avaient été invitées à participer à un match amical, la Classique hivernale féminine, et pour au moins une Bostonienne sur le banc, il s'agissait d'un moment de joie pure.
« La journée était parfaite, a raconté Denna Laing. Vraiment parfaite. »
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Elle ne pouvait pas bouger.
Laing patinait vers le coin avant de faire une chute, puis il y a eu une civière et elle a été transportée hors glace. Quelqu'un tentait de prendre des photos de l'incident et elle tentait de l'arrêter. Mais elle ne pouvait pas bouger.
Ses parents sont arrivés sur la scène, son père Dennis ayant sauté sur le terrain des gradins où il s'était assis dans les premières rangées. Sa mère n'était pas loin derrière.
« Je tentais de demeurer très, très calme parce qu'il n'y avait rien que je pouvais faire à ce moment, a mentionné Laing, 25 ans. Aucun besoin de paniquer. Je voulais également calmer tout le monde. Mon papa était une des premières personnes sur la scène et je lui ai dit, "Papa, j'ai besoin que tu sois calme. Je ne peux pas sentir mes jambes. »
Il ne pouvait pas s'en empêcher. Il a paniqué, un peu.
Elle ne l'a pas fait. Elle en savait assez, quand elle est entrée dans l'ambulance, pour demander à ce que les ambulanciers la transportent à l'hôpital Massachusetts General au lieu de l'hôpital Norwood. Elle savait qu'elle allait avoir besoin de plus d'aide que l'avant-poste de banlieue pouvait lui offrir. Elle en savait également assez pour attribuer son insistance à sa mère Jerilyn, qui déclare qu'elle avait compris à ce moment-là que même si de nombreuses choses pouvaient changer, Denna et sa personnalité allaient demeurer inchangées.

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Tout est devenu embrouillé plus tard, quand Laing a subi une intervention chirurgicale trois heures après la blessure. Elle est demeurée dans la salle d'opération pendant plus de sept heures. Elle s'était brisé la vertèbre C5 en avant et s'était fracturé les vertèbres C4, C5 et C6 à l'arrière. Les fragments osseux devaient être enlevés. Une cage de titane devait être insérée alors que les vertèbres devaient être stabilisées à l'aide de tiges.
Elle se rappelle plus clairement les manifestations physiques du soutien, les cartes et les animaux en peluche et les messages venant de sa famille et ses amis proches, mais également venant d'aussi loin que la Russie et l'Allemagne. La nouvelle s'était répandue partout dans le monde de hockey, dans une communauté qui avait déjà été témoin d'autres blessures médullaires paralysantes, et dont les yeux s'étaient déjà tournés vers Boston cette fin de semaine en prévision d'un des événements majeurs de la LNH, la Classique hivernale entre les Bruins de Boston et les Canadiens de Montréal, le lendemain. Les bouquets de fleurs qu'elle ne pouvait pas garder dans l'unité de soins intensifs ont débordé dans les maisons de ses amis. Elle a reçu des centaines de messages textes.
Elle est restée à Mass General pendant 133 jours.
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Alors que Laing explique quelque chose à un caméraman pendant un lundi il n'y a pas si longtemps, son entraîneur augmente la résistance sur le NuStep, un vélo couché qui fait penser à un appareil elliptique en position assise. Cela aide à accélérer le rythme cardiaque, une tâche difficile pour une personne qui passe presque tout son temps dans un fauteuil roulant.
L'objectif d'aujourd'hui est de 800 mètres. Elle alterne les dents serrées par la concentration avec le sourire qui caractérise tant de descriptions qui ont été faites d'elle. C'est en effet étonnant de voir la fréquence à laquelle un grand sourire paraît sur son visage, même quand elle donne son effort maximal.
Personne n'est aussi heureux au gymnase.
Et pourtant, son retour au gymnase représente un signe de normalité, un retour dans une salle qui ressemble à un grand gymnase, sauf avec un ratio d'entraîneurs par client plus élevé que dans un gymnase typique. Ici, les entraîneurs ne crient pas des ordres aux personnes qui tentent de perdre du poids ou de battre une marque personnelle. Ici, ils soutiennent plutôt un pelvis, ils massent des muscles afin de leur réapprendre à s'engager correctement et ils lèvent des corps qui ne peuvent plus se lever.

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« Tout le monde veut être ici », a déclaré le régisseur David Alexander au sujet de ses clients, incluant Laing. « Ils veulent récupérer des morceaux de leur vie. »
Laing avait passé le matin à la piscine à l'Hôpital de rééducation Spaulding. Dans l'après-midi -- et trois autres jours par semaine --, elle est ici, au Journey Forward, un complexe à Canton qui se spécialise dans les programmes d'exercices pour ceux qui souffrent de blessures à la colonne vertébrale.
Elle sait très bien ce qu'est le travail, car c'est ce qu'elle a fait toute sa vie pour devenir la capitaine de l'équipe de hockey féminin à l'Université Princeton à deux reprises, une joueuse du Pride de Boston dans la NWHL, une représentante des victimes et des témoins au Bureau du procureur de district du comté Essex et une future avocate.
Ce travail se manifeste dans tout ce qu'elle dit aujourd'hui, et dans tout ce qu'elle fait.
« Au cours de ma présence sur glace précédant ma blessure, je ne trouvais pas que j'avais très bien joué, a noté Laing. J'ai abordé cette prochaine présence en me disant, "Allons-y, Denna, tu dois en donner plus, tu dois travailler, tu dois jouer de ton mieux."
« Et c'est exactement ce que je faisais quand je suis entrée en collision avec la rampe. Je faisais de mon mieux, je travaillais très fort et c'est vraiment malheureux que je me sois blessé comme cela. Mais je me suis blessée en travaillant. »
Elle n'a pas cessé de travailler.
« C'est très rassurant de voir que je me dirige dans la bonne direction, qu'il y a un espoir pour une meilleure vie, et c'est également rassurant de voir que ce travail acharné commence à payer, a dit Laing. Le travail acharné a toujours un de mes piliers. Je n'ai jamais cru que j'étais la meilleure ou la plus intelligente, mais j'ai certainement travaillé avec acharnement. »

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Et il y a eu des gains, dans la force de son tronc et dans sa stabilité. Quand elle est d'abord arrivée au gymnase chez Journey Forward, elle avait même besoin d'aide pour bouger les roues du NuStep. Elle est récemment passée du niveau zéro sur l'appareil au niveau un. Les pas sont petits, mais ils existent.
Comme Alexander, un des principaux entraîneurs de Laing, a expliqué, « C'est un jeu de pouces. »
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Pour l'instant, bien des choses demeurent inconnues. Il est impossible de savoir si Laing pourra récupérer de la sensation ou certaines fonctions, si elle pourra marcher à nouveau, ou si demain sera meilleur qu'aujourd'hui. Les médecins hésitent à offrir des projections dans de tels cas, et il y a un sentiment que les trois premières années sont cruciales pour déterminer ce qui va se passer. Laing n'a passé que huit mois en rééducation.
C'est à la fois une éternité et un laps de temps très court.
Laing ne peut pas bien maîtriser ses poignets et doigts, alors elle doit porter des gants et des attelles pour se déplacer dans la piscine thérapeutique et pour utiliser un stylet qui lui permet de taper sur son ordinateur et son portable. Ses biceps s'engagent constamment, tandis que ses triceps fonctionnent mal. Son bras gauche est plus fort que son droit, et elle a donc dû se transformer en gauchère, elle qui était droitière. Il y a un déséquilibre entre ses omoplates qui peut causer des douleurs. Son corps a des difficultés à régler sa température, provoquant une sensation de froid constant, quelque chose qui va être traité dans la rénovation de la maison de la famille à Marblehead, au Massachusetts, avec un système spécial de chauffage pour sa chambre.
Il y a des essais cliniques auxquels elle pourrait participer, des implants qui pourraient l'aider, mais rien ne peut être déterminé avant qu'elle ne complète une plus grande partie du processus, avant qu'elle ne voie à quel point elle peut progresser par elle-même.
« J'ai un peu de [sensation] dans les mains, mais pas beaucoup, a dit Laing. Juste dans les pouces. Mais j'ai certainement de la sensation dans les bras, dans la poitrine, dans le cou, dans une partie de mon dos, aussi. Mais ce ne sont pas de gros gains. »

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C'est plus que ce qu'elle avait au début, mais il est impossible de savoir avec certitude si elle fera davantage de gains, et dans quelle mesure.
Comme elle l'a dit, « C'est juste un des points d'interrogation. »
Un des milliers.
Mais la chose importante, c'est que Denna est toujours Denna, et c'était la clé pour elle, pour sa famille et pour sa capacité de s'adapter. Et son objectif est de conserver une vie aussi normale que possible, notamment grâce à un voyage à la réunion des anciens à Princeton en mai, des fins de semaine sur les rives du Lac Ossipee dans le New Hampshire et des concerts au Gillette Stadium (Luke Bryan et Kenny Chesney), avec d'autres plans pour l'avenir.
Même si Laing sait déjà qu'elle ne va pas poursuivre ses études de droit en automne -- elle était au milieu du processus de candidature au moment de la blessure -- et ne sait pas exactement quand elle va reprendre ses études, elle a passé des entrevues avec certaines universités dans la région de Boston. Elle a rempli des formulaires d'admission pendant ses traitements à l'hôpital. Ça n'a pas changé.
Bien qu'elle n'ait pas changé, le reste du monde a changé.
Il y a un moment particulier dans sa rééducation que Laing a souligné, une journée d'une signification énorme pour elle. Cette journée est survenue peu de temps avant sa sortie de l'hôpital, le 24 mai, avec la mission d'assister à sa deuxième réunion des anciens de l'université. La date était le 12 mai, son 25e anniversaire.
« Je parlais avec un de mes amis un samedi et je lui ai dit, "Je m'ennuie des soirées du samedi, je m'ennuie de sortir avec mes amis, je m'ennuie vraiment d'être sur la piste de danse." J'adore danser », a raconté Laing.
« Donc, de faire un tour de piste avec mes amis -- je ne dansais pas vraiment en raison de mes jambes, mais je m'amusais beaucoup, j'ai fait tout ce que je pouvais faire. Je pense que c'était vraiment l'une des meilleures soirées pour moi. »
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L'histoire populaire est facile, celle où Laing sourit et se bat constamment. Et au dire de tous, c'est la plupart du temps la vérité, parce qu'elle croit qu'il n'y a aucune place pour la négativité dans le cadre de ce qu'elle veut accomplir. Cependant, il y a quand même des moments, naturellement, où ses souhaits se perdent dans la réalité de tout ce à quoi elle doit faire face.
Il y a des moments où elle envoie sa mère acheter du café, juste pour avoir un petit moment de séparation, alors que les edux femmes sont toujours ensemble. Elle fond en larmes quand elle discute de tout ce que sa famille a fait pour elle -- surtout Jerilyn, qui prend soin de sa fille 24 heures par 24 --, mais pour une jeune femme de 25 ans qui est extrêmement fière de son ancienne indépendance, la perte de cette liberté était difficile à accepter.

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« Elle est incroyable. Je sais que c'est vraiment difficile, a dit Laing, des larmes aux yeux. C'est beaucoup pour une seule personne. Et ça me fend le cœur parce que j'étais si indépendante. Mais elle est la meilleure aide que j'aurais pu avoir, sans l'ombre d'un doute. »
Jerilyn, qui avait brièvement travaillé en tant que thérapeute adjointe après l'université, est présente le matin, assise sur une chaise pliante à côté de la piscine, après avoir pris deux heures pour aider sa fille à se préparer à quitter la maison. Elle est présente pour observer le progrès de Laing durant les exercices au Journey Forward dans l'après-midi, bougeant sa chaise alors que Laing passe d'une machine à la prochaine. Elle est prête avec une bouteille d'eau à tout moment. Elle filme les séances pour créer des rapports d'avancement qu'elle va revoir avec son époux.
Elle y est parce qu'elle a besoin d'y être.
« Je ne l'ai jamais vue être déçue, a dit Jerilyn. Peut-être une ou deux fois où elle était découragée ou frustrée, mais je crois qu'elle pense à toutes les personnes qui la soutiennent. Elle ne veut pas les laisser tomber.
« De plus, elle n'a pas atteint le plateau où rien ne se passe. Elle continue de s'améliorer. Elle espère encore. »
Et si ça s'arrête?
« Ça ne me préoccupe pas, parce que si ce moment arrive, elle l'a déjà géré si bien qu'elle va juste utiliser un stylet -- je crois que ça ne va pas l'empêcher de faire ce qu'elle veut faire, a expliqué Jerilyn. Cela ne va pas l'empêcher de se diriger vers l'école de droit, d'avoir un boulot, de se marier ou de faire tout ce qu'elle veut faire.
« Je pense qu'elle ne soucie pas de tout ce qu'elle devra faire pour achever ses objectifs. Elle va le faire. Je ne suis pas très inquiète. Si quelqu'un a à brosser ses dents, quelqu'un va brosser ses dents. Ce n'est pas comme si elle ne va pas être elle-même quand elle se lèvera dans le matin.
« Il y a beaucoup de revers. Toutes les autres choses qui ne fonctionnent pas correctement. C'est difficile à gérer parce qu'elle n'est pas vieille. Elle est jeune. Je pense donc que c'est difficile. Mais ça ne va pas changer, alors on apprend à le gérer. »
Jerilyn n'est pas la seule personne aux côtés de Denna. Les appels et les visites sont constants, incluant ceux de ses coéquipières du Pride qui ont célébré leur titre de la NWHL avec elle au lendemain de leur conquête de la Coupe Isobel.
« C'est difficile d'exprimer ma reconnaissance, a dit Laing, visiblement émue. Je sais que c'était également difficile pour tous les autres. Ce genre de blessure, tu ne peux pas lutter contre elle par toi-même. »
Mais l'amour ne peut pas tout effacer. Cela ne peut pas soulager tous les troubles d'une personne qui vit l'expérience que Laing connaît présentement.
« Je vis assurément ces moments, a-t-elle avoué. Je me fâche parfois. Habituellement, je réfléchis à l'effet que ma réaction aura sur une situation. Donc, je tente de ne pas devenir furieuse ou crier après quiconque, car ça ne va pas aider. Personne n'aime pas être engueulé.
« Je tente donc de rester calme. Il y a évidemment des jours où je suis découragée. Mais je suis forte en sortant de ma torpeur. Je prends un moment, je ferme les jeux, je prends quelques bonnes respirations et me dis, "Tu sais, Denna, tu vas le gérer, ça pourrait être pire. Et ça va être mieux." »
On lui pose une question au sujet de cette dernière partie, au sujet des améliorations qu'elle peut sentir et au sujet de son espoir.
« Ça va être mieux », répète-t-elle, plus fermement.
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Il y a huit mois, Laing ne pouvait pas respirer. Elle était placée sous un respirateur. Elle ne pouvait pas soutenir son cou. Elle ne pouvait pas dégager le mucus de ses poumons. Elle ne pouvait guère bouger le bras gauche. Elle ne pouvait pas du tout bouger le bras droit.
« Chaque petit pas, chaque moment où je suis devenue plus forte représentent un autre moment qui me permet de garder le moral, a-t-elle dit. J'espère que la tendance se poursuivra à l'avenir. Je doute qu'il y ait une fois que j'ai dit, "C'est impossible" ou "Ça ne va jamais se produire".
« Je ne peux pas me permettre d'avoir une attitude fermée. »
Elle a plutôt une attitude qu'Alexander qualifie de « relativement positive, mais réaliste », une attitude qui n'est pas toujours présente, surtout chez les jeunes, qui sont habituellement à la recherche désespérée d'une personne -- n'importe qui -- qui va leur dire si et quand ils pourront marcher de nouveau.

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« L'objectif ultime pour tout le monde est de marcher, a-t-il noté. Mais il faut d'abord faire du progrès. Il faut apprendre à s'asseoir avant de se lever. Il faut apprendre à se lever avant de marcher. »
Quand Laing est sur le tapis roulant chez Journey Forward, il semble qu'elle marche, qu'elle se déplace par elle-même. Ce n'est pas le cas, et les vidéos de l'exercice peuvent être trompeuses même pour elle alors qu'elle se regarde dans le miroir devant la machine. Ses bras se balancent, ses jambes montent et descendent.
Cela ne tient pas compte de l'entraîneur derrière elle qui stabilise son corps, ni des entraîneurs de chaque côté qui massent et bougent ses jambes afin de stimuler manuellement les muscles qui devraient fonctionner lorsqu'une personne marche.
Laing peut voir ses jambes. Elle ne peut pas encore les sentir.
Elle est soutenue. Elle est aidée. Elle sourit. Et même si ce n'est pas de sa propre initiative, même si les choses qui avaient été sous son contrôle ne le sont plus et pourraient ne plus jamais l'être, Laing va de l'avant, pas à pas.