Thornton Sharks clinch 3296

L'attaquant des Sharks de San Jose Joe Thornton est encore une fois parmi les meilleurs pointeurs de la LNH. Cette capacité à se classer année après année parmi les meilleurs joueurs offensifs de la ligue, Thornton la maintient au fil d'un parcours à la fois exceptionnel et représentatif des carrières de ses contemporains. Après avoir dominé outrageusement au fil de la vingtaine, on le voit prendre un rôle graduellement plus spécialisé alors qu'il avance dans la trentaine.
Les classements des meilleurs marqueurs sont toujours peuplés en leurs sommets de joueurs qui savent associer performances de pointe et durabilité. Dans le cas de Thornton, la jonction entre ces deux dimensions essentielles a été un peu plus difficile à faire en début de carrière, mais, une fois réalisée, ne s'est jamais démentie.

Jusqu'à 22 ans, sans être terriblement fragile, Thornton peine à dépasser régulièrement le cap des 70 matchs joués. À partir de l'âge de 23 ans, il ne manque jamais plus de cinq matchs par saison. De même, sa production de points par matchs décolle graduellement, avant de s'aligner avec celle des meilleurs de la profession.
Parce qu'il commence à jouer dans la LNH dès l'âge de 18 ans, en plein cœur de la « dead puck era » en 1997, ce lent décollage est compréhensible. Ajoutons que Thornton est privé, par le lock-out de 2004-05, de sa saison d'âge 25 ans, en plein dans les meilleures années de sa carrière.
Qu'importe. On sait que les joueurs connaissent leurs meilleures années entre l'âge de 22 et 29 ans et Thornton ne fait pas exception; au cours de ces années, en plus de ne manquer qu'un nombre infime de matchs, sa production de points par partie jouée flirte systématiquement avec celle des meilleurs pointeurs de la ligue (il remporte le championnat des compteurs en 2005-06).
Et depuis qu'il a passé le cap de la trentaine, s'il a ralenti, Thornton continue à se maintenir parmi les meilleurs. Lorsqu'on prend, pour chaque saison, la moyenne de points par matchs du meilleur et du dixième meilleur pointeur de la ligue, et qu'on les compare aux scores affichés par Thornton, on voit bien que ce dernier reste encore aujourd'hui d'une étonnante régularité.

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Mais tout ça ne s'est pas accompli tout naturellement, au fil de l'évolution du seul individu Thornton. On a clairement affaire à une adaptation du côté de l'équipe, notamment des entraîneurs de Thornton, qui ont choisi de miser sur les forces du gros joueur de centre.
Lorsqu'on regarde la qualité des adversaires affrontés ainsi que celle des coéquipiers en compagnie de qui Thornton joue, les choses se clarifient un peu. Rappelons que les entraîneurs n'ont qu'un contrôle relatif sur la qualité des adversaires affrontés par un joueur. On l'envoie sur la glace et l'entraîneur adverse fait bien ce qu'il veut. Non seulement ça, mais les joueurs ne peuvent être sur la glace en tout temps. Une fois la présence terminée, si on renvoie le même joueur trop souvent, sa capacité de récupération s'en trouve diminuée, avec ce que ça suppose de baisse de régime en fin de match et en fin de saison. C'est encore plus vrai pour les joueurs vieillissants.
Quand même. En regardant jusqu'à quel point les meilleurs coéquipiers de Thornton et ses adversaires les plus redoutables sont présents plus souvent qu'à leur tour lorsqu'il est sur la glace, on arrive à voir de quelle façon il est déployé. Le graphique suivant montre cette exposition aux meilleurs éléments, ainsi que les parts de tirs et de mises en zone offensives obtenues en présence de Thornton depuis 2007 (les données de la LNH ne permettent pas d'aller plus loin).

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Le renversement de tendance, à partir de la saison écourtée de 2013, est manifeste. Thornton est de plus en plus surexposé aux meilleurs éléments adverses, en même temps que la qualité relative de ses coéquipiers diminue. Honnêtement, l'ampleur de son revirement m'a surpris.
Plusieurs facteurs s'entrecroisent ici. Premièrement, on passe d'une époque (les années 07-10) où Thornton joue 21, 22 minutes par match en compagnie de joueurs comme Patrick Marleau, lui aussi utilisé à profusion. Au fil des saisons, l'émergence de joueurs comme Logan Couture et Joe Pavelski ajoute de la profondeur aux Sharks, qui diminuent le temps de jeu de Thornton. Mais, depuis quelques années, les Sharks peinent à se renouveler.
Dans ce contexte, on a fait le choix, depuis la saison 2013-14, d'associer systématiquement Thornton à Joe Pavelski. À leur aile se sont succédé Brent Burns, Melker Kalrsson et Tomas Hertl. De même, depuis deux ans, Thornton prend désormais un nombre disproportionné de mises en zone offensive.
La réponse des adversaires est, dans ce contexte, manifeste : on surveille Thornton comme jamais avant parce que celui-ci est de plus en plus spécifiquement associé à des joueurs et des situations offensives. Alors qu'il jouait, dans ses grandes années, en désavantage numérique et prenait des mises en jeu dans toutes les situations, on voit aujourd'hui ses tâches défensives s'alléger.
Les performances soutenues de Thornton ne sont donc pas seulement le fait de ses exceptionnels dons physiques et de sa persévérance. On a su, à San Jose, continuer à miser sur lui tout en s'assurant de le soustraire aux situations où ses talents n'étaient pas nécessaires. Ce genre d'adaptation illustre pourquoi, au-delà des talents de ce remarquable meneur de jeu, les Sharks font encore partie des meilleurs clubs de la ligue : on ne se contente pas de reproduire année après année le même plan de match, on ajuste, on adapte, on recycle.
Les équipes qui peinent à performer d'une saison à l'autre regardent souvent du côté de l'alignement, déplorant l'absence de tel ou tel type de joueur. Mais dans les faits, c'est la capacité à tirer le maximum de ce qu'ils ont sous la main qui distingue les bonnes formations. Le travail des Sharks au fil des saisons (et malgré un changement d'entraîneur!) l'illustre éloquemment.