Brodeur

TORONTO -- Le long périple de Martin Brodeur vers le Temple de la renommée du hockey a commencé dans la banlieue montréalaise de Saint-Léonard avec une chaussette et du ruban adhésif.
Le jeune Martin et son meilleur ami, Guy Martin, ont profité d'innombrables journées de pluie pour jouer au hockey dans le sous-sol de la résidence familiale des Brodeur sur la rue Mauriac. Quand c'était trop mouillé dehors pour jouer dans la rue, les deux jeunes hommes ont fabriqué une rondelle en enrubannant une chaussette de ruban adhésif.
« On jouait pendant des heures, a raconté Martin, mardi. Même dans ces moments-là, la victoire était la chose la plus importante pour lui. »
Jusqu'à quel point ?

« Si tu marquais le but gagnant, il y avait toujours la prétention que le but n'était pas bon. Donc, il fallait toujours aller à un tir de pénalité pour décider qui gagnait.
« Pour Martin à l'époque, ça se résumait à la victoire. Au hockey dans le sous-sol. Au hockey de rue. Tout le temps. Et ç'a fait en sorte qu'il a fini par se retrouver au Temple de la renommée du hockey. »
Aucun gardien de la LNH n'a signé plus de victoires que Martin Brodeur, qui a officiellement été élu membre du Temple, mardi. Il y fait son entrée en tant que meneur de tous les temps chez les gardiens au chapitre des victoires avec 691, soit 140 de plus que son idole de jeunesse Patrick Roy. Brodeur est aussi premier dans l'histoire pour les jeux blancs (125), tandis qu'il a remporté le trophée Calder en tant que recrue de l'année dans la LNH en 1994, le trophée Vézina remis au meilleur gardien à quatre reprises (2003, 2004, 2007, 2008) et la Coupe Stanley trois fois avec les Devils du New Jersey (1995, 2000, 2003).
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Pour Brodeur, qui a maintenant 46 ans et occupe présentement le poste de directeur général adjoint chez les Blues de St. Louis, tout se résumait à la victoire ; les autres exploits n'avaient qu'une importance secondaire.
« Pour moi, (l'objectif) c'était la fiche des victoires, a indiqué Brodeur. À mes yeux, si j'obtiens suffisamment de victoires, les jeux blancs vont suivre. Les victoires rendent les entraîneurs, les coéquipiers, les propriétaires et les partisans tous heureux… Je m'en moquais si on gagnait 7-6, en autant qu'on gagnait.
« Être admis au Temple est tout un honneur. C'est le dessert d'une carrière. Le Temple, c'est le sommet de la montagne. »
Pendant une bonne partie du parcours qui lui a permis de gravir toutes ces marches vers le summum du monde du hockey, Brodeur a été accompagné de son père Denis, un photographe spécialisé en sports. Après qu'il eut reçu l'appel du Temple, mardi, la première personne à qui Brodeur aurait aimé annoncer la nouvelle, c'était lui. Mais il n'a pas pu. Denis Brodeur est décédé en 2013.
« Je pense qu'il a entendu la conversation que j'ai eue avec le Temple quand on m'a fait savoir que j'avais été élu, a lancé Brodeur. Il aurait été fier. »
Après l'avoir dit à son épouse et à ses enfants, une des premières personnes que Brodeur a contactées a été Martin. « On y est arrivé », a-t-il dit à son ancien partenaire de jeu.
« Martin n'oublie jamais les gens de son entourage, peu importe à quel point il connaît du succès », a affirmé Martin.
Ce dernier se souvient des occasions où Brodeur a organisé des matchs de hockey de rue devant la résidence familiale de la rue Mauriac après que les Devils eurent remporté la Coupe Stanley en 1995 et 2000. Pendant que le trophée se trouvait tout près, le match allait bon train, regroupant un bon nombre des amis d'enfance de Brodeur qui avaient jadis joué au même endroit.

C'est sur cette rue que Brodeur a appris à bien contrôler la rondelle.
« Plus jeune, je n'étais jamais gardien au hockey dans rue ou dans les matchs improvisés, a indiqué Brodeur. J'aimais jouer devant. Donc, quand je jouais au poste de gardien, j'aimais être en possession de la rondelle. »
C'était là une qualité qui frustrait ses adversaires dans la LNH, tout en suscitant leur admiration.
« Parfois, il faisait plus de passes que ses propres défenseurs durant un match », a lancé l'ancien attaquant des Maple Leafs de Toronto Wendel Clark.
Ce n'est pas tout le monde qui trouvait que c'était là une bonne chose.
« Ça se transformait en match de tennis, a déclaré l'ancien directeur général de la LNH Brian Burke. Tu lançais la rondelle en fond de zone et le gardien la dégageait. »
La LNH a instauré la zone en forme de trapèze derrière le but pour contrer cette tendance en 2005. Dans le cadre de la règle qui a été mise en vigueur, qu'on a officieusement baptisée « la règle Brodeur », les gardiens ne pouvaient toucher au disque derrière la ligne de but que dans cette zone désignée ; ils ne pouvaient plus aller dans les coins de la patinoire pour aller chercher la rondelle.
« Ç'a enlevé quelque chose sur laquelle j'avais travaillée toute ma vie dans le but d'y exceller », a souligné Brodeur.

Brodeur n'a pas seulement appris à contrôler la rondelle sur la rue Mauriac. Il y a également découvert les vertus de l'humilité.
Jeune garçon, il voyait souvent des athlètes, tels que le légendaire attaquant des Canadiens de Montréal Guy Lafleur et le receveur des Expos de Montréal Gary Carter, venir à la maison afin de regarder et sélectionner les photos que Denis avait prises d'eux.
« Quand je voyais des vedettes comme ces joueurs-là traiter mon père avec respect, ça m'a appris qu'il fallait bien traiter les gens peu importe sa renommée, a affirmé Brodeur. J'allais au Forum de Montréal avec lui et je le voyais de mes propres yeux. J'allais au camp d'entraînement en Floride avec lui et je l'ai vu quand j'ai été préposé aux balles. »
La modestie qu'il a forgée durant sa jeunesse est encore bien évidente de nos jours, notamment quand on lui demande s'il est le meilleur gardien de tous les temps. Il se met aussitôt à énumérer des noms - Roy, Dominik Hasek et Ken Dryden, pour n'en nommer que quelques-uns.
« D'après moi, ça ne va jamais faire l'unanimité, a dit Brodeur. Parce que ce sont des génération différentes. Les circonstances sont différentes. Il y a eu les blessures.
« Qui est le meilleur ? (Wayne) Gretzky vous dira la même chose -- il n'aime pas en parler lui non plus. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes chanceux d'avoir pu pratiquer le sport que nous adorons et le hockey a été bon pour nous. »
Scott Stevens, un défenseur intronisé au Temple de la renommée, était le capitaine des Devils quand ceux-ci ont remporté leurs trois titres de la Coupe Stanley. Il se dit frustré d'entendre les critiques prétendre que les statistiques de Brodeur ne sont pas le reflet fidèle de son niveau de jeu parce que le New Jersey pratiquait un style défensif.
« Nous avons mené la Ligue pour les buts marqués (en 2000-01), alors je suis fatigué d'entendre parler du prétendu style ennuyant, a déclaré Stevens. Les gens semblent oublier ça.
« Je l'ai pas mal toujours mis au premier rang en raison de ses statistiques, de ses victoires et de tout ce qu'il a accompli. »
Pour Martin, la façon de juger l'excellence de Brodeur est encore plus simple que cela.
« Les jeunes qui jouent au hockey de rue, comme on le faisait, font semblant qu'ils sont lui, a noté Martin. Pour un membre du Temple de la renommée, il n'y a pas de plus bel hommage que ça. »