FORT LAUDERDALE, Floride – Dmitry Kulikov avait 17 ans. Il ne parlait pas anglais, encore moins français et il se retrouvait à Drummondville avec les Voltigeurs. Il s’expatriait de sa Russie natale, mais il se rapprochait de son rêve : jouer dans la LNH.
On fait un retour dans le temps. On revient à la saison 2008-2009. Cette année-là, Kulikov et les Voltigeurs ont éliminé les Cataractes de Shawinigan en sept matchs pour gagner une première fois le trophée des Présidents. Ils ont participé à la Coupe Memorial qui se déroulait à Rimouski. Les Spitfires de Windsor l’avaient emporté en finale contre les Rockets de Kelowna.
À LIRE AUSSI : Forsling : du ballottage à un défenseur étoile
C’était il y a pratiquement un siècle. C’était il y a 15 ans, pour une plus grande précision. Mais 15 ans plus tard, les Voltigeurs ont gagné le deuxième titre de leur histoire dans la Ligue de hockey junior Maritimes Québec (LHJMQ) et ils ont obtenu un premier billet pour la Coupe Memorial depuis 2009. En finale, ils ont balayé le Drakkar de Baie-Comeau.
Les Voltigeurs ont toutefois connu un sort malheureux à Saginaw, lieu de la Coupe Memorial, en perdant leurs trois matchs. Ils ont subi officiellement l’élimination en s’inclinant 5-3 contre les Warriors de Moose Jaw, mardi soir.
Aujourd’hui, Kulikov a 33 ans. Il se retrouve en finale de l’Est avec les Panthers de la Floride dans un rôle comme défenseur au sein de la troisième paire en compagnie d’Oliver Ekman-Larsson. Il a une expérience de pratiquement 1000 matchs (948) dans la LNH, ayant porté les couleurs des Panthers, des Sabres de Buffalo, des Jets de Winnipeg, des Devils du New Jersey, des Oilers d'Edmonton, du Wild du Minnesota, des Ducks d'Anaheim et des Penguins de Pittsburgh.
Il a beaucoup voyagé. Mais il n’a pas oublié ses racines.
« Je sais que tu souhaites me parler des Voltigeurs de Drummondville puisqu’ils participent à la Coupe Memorial », a lancé Kulikov dans le vestiaire du centre d’entraînement des Panthers à Fort Lauderdale.
« Je regarde encore un peu ce qu’ils font. J’avais lu qu’ils avaient gagné le championnat dans la LHJMQ. C’était une première depuis mon année (2009). C’est difficile d’atteindre la Coupe Memorial et c’est encore plus difficile de la gagner. »
Kulikov n’a pas encore détaché ses patins et il transpire à grosses gouttes après un entraînement matinal à la veille du quatrième match de cette finale de l’Est contre les Rangers de New York. On le sent toutefois heureux de faire un détour dans le passé.
« J’avais adoré ma saison, nous avions un groupe tissé serré, a-t-il affirmé. Je n’avais jamais joué en Amérique du Nord avant cette année-là. J’aimais les matchs, j’aimais l’équipe, j’aimais la ville, j’aimais vraiment tout de l’expérience. »
« J’avais du plaisir là-bas. Je me souviens que j’étais heureux. Et je jouais du bon hockey, c’était bon pour moi. Je crois aussi que c’était la bonne décision pour mon développement. Tu ne peux jamais prédire s’il s’agira d’une bonne chose pour ton développement. Mais ce l’était pour moi. Je pouvais me concentrer sur le hockey et j’ai appris l’anglais. »
Kulikov a appris les rudiments du hockey en Amérique du Nord sous les ordres de Guy Boucher à son unique saison à Drummondville, mais il a aussi découvert la poutine et une autre culture.
« Je vivais dans une famille de pension, la famille (Marc) Bergeron, a-t-il précisé. Je ne parlais pas l’anglais ni le français à mon arrivée à Drummondville. Je me suis concentré pour apprendre l’anglais en suivant des cours, mais je pouvais aussi sortir des mots en français. Je parlais un anglais très limité pour mes premiers mois, mais c’était mieux vers la fin. Je me faisais comprendre. Sean Couturier était un de mes coéquipiers. Quand je joue contre lui, je le salue encore. »
Un départ négocié à Kazan en Russie
André Ruel, qui travaille maintenant au sein de l’agence de Pat Brisson, occupait le poste d’adjoint au directeur général (Dominic Ricard) à cette époque avec les Voltigeurs.
Ruel était aux premières loges pour attirer ce jeune défenseur à Drummondville.
« Je l’avais recruté en Russie, a-t-il raconté. Dmitry avait participé au Championnat du monde des moins de 18 ans avec l’équipe russe. Le tournoi se déroulait à Kazan, en Russie. J’avais parlé avec son agent avant le tournoi. Il voulait jouer dans la Ligue canadienne. Je voulais le voir jouer un match ou deux. Après deux matchs, je l’adorais. Guy Boucher était l’adjoint à Pat Quinn avec Équipe Canada. Guy était notre coach avec les Voltigeurs et il l’aimait aussi.
« Pendant une journée de congé lors du tournoi, j’avais organisé une rencontre avec Dmitry, son père et son agent. Dmitry et son père ne parlaient pas un mot d’anglais. L’agent faisait la traduction. Mais pendant notre rencontre, le père de Dmitry avait commencé à pleurer. Il voulait offrir une chance à son fils de sortir de la Russie pour venir jouer dans la Ligue canadienne. Juste dans les yeux de Dmitry, je voyais qu’il avait du caractère. Il était sous contrat avec Iaroslavl. Pour le sortir de la Russie, Iaroslavl avait accepté de le libérer, mais juste pour un an sous forme d’un prêt. Il n’avait pas brisé son contrat. »
Kulikov n’a finalement joué qu’une saison à Drummondville. Choix de premier tour des Panthers en 2009, il a fait le saut en Floride dès l’automne suivant.
Dans un concours de circonstances, il a aussi évité l’une des pires tragédies dans l’histoire du hockey : l’écrasement de l’avion du Lokomotiv de Iaroslavl du 7 septembre 2011.
« S’il ne vient pas à Drummondville, il se retrouve probablement dans cet avion », a rappelé Ruel.
L’ancien DG adjoint des Voltigeurs garde un très bon souvenir de Kulikov.
« Il était tout un défenseur dans la LHJMQ, mais aussi une très bonne personne, a-t-il dit. Il a suivi des cours d’anglais dès le départ. Il suivait quatre cours par semaine de 90 minutes. Il nous avait dit que vers Noël, il donnerait des entrevues aux recruteurs de la LNH en anglais. Et il l’avait fait. Il était déterminé. Il glissait aussi des mots en français. Au banquet de la LHJMQ, il avait remporté quatre trophées : recrue de l’année, défenseur recrue de l’année, meilleur espoir professionnel et défenseur de l’année. Pour son discours après son premier trophée, il avait fait ses remerciements en anglais. Pour le deuxième trophée, il avait parlé en russe et pour le troisième trophée, en français. »
Kulikov avait obtenu 62 points (12 buts, 50 passes) en 57 matchs avec les Voltigeurs et il avait ajouté 19 points (deux buts, 17 passes) en 19 matchs en séries.
Si les Voltigeurs avaient frappé un circuit avec lui, ils n’avaient pas eu le même succès avec un autre défenseur russe cette même année : Igor Golovkov.
« Igor n’avait joué que cinq matchs, mais il avait passé près d’un mois en comptant le camp, s’est remémoré Ruel. Il avait aidé Dmitry à ses premiers jours. Mais pour le reste, c’était compliqué. Une journée, il n’était pas à sa famille de pension et nous le cherchions. Nous avions fini par comprendre qu’il était parti visiter son ami Alexander Radulov à Québec. Il avait fait le trajet aller-retour en taxi… »
Golovkov n’avait donc pas le sérieux de Kulikov.
Aux dires de Ruel, les Voltigeurs songeront à retirer le chandail numéro 29 de Kulikov. Ils pourraient aussi faire la même chose avec celui d’Ondrej Palat (16) qui a joué en 2009-2010 et 2010-2011 à Drummondville.