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SAN JOSE -À quelques heures de leur départ pour Las Vegas, les Sharks de San Jose ont tenu un entraînement optionnel. Comme c'est toujours le cas, une figure barbue émerge du tunnel menant à la patinoire, celle de Joe Thornton.

Samedi matin, il n'est pas le seul à patiner. Le suivant dans le tunnel, l'attaquant Kevin Labanc l'a rejoint. Le vétéran s'installe derrière le filet afin de travailler certains jeux de passes dans l'enclave pendant que Labanc décoche des lancers. Thornton donne les ordres, Labanc obéit. Les deux se préparent pour le match de dimanche contre les Golden Knights de Vegas (22h H.E.; NBCSN, NBCSCA, SN, SN360, TVAS, ATTSN-RM). La série est égale 1-1.
« Tu pourras prendre une journée de congé quand tu auras 30 ans! », lance Labanc en rigolant à son coéquipier. « Chaque jour, tu viens à la patinoire et tu pratiques quelque chose. Ce sera payant pour ton futur. »
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La trentaine, il y a longtemps que Thornton l'a atteinte. À 39 ans, il se dirige vers le Temple de la renommée. Avec 1478 points, il est le meilleur pointeur de la LNH parmi les joueurs actifs, 14e de l'histoire du circuit. Ses 1065 passes le placent au même rang dans la LNH, mais aussi huitième de l'histoire.
Et malgré cet âge, pas question de s'accorder une journée de congé, même si ce n'est que pour faire quelques exercices. Il est un peu comme un vrai requin, qui ne peut cesser de bouger afin de rester en vie.
En même temps, il agit à titre de mentor pour des joueurs comme Labanc, qui à 23 ans en est à sa troisième saison dans la LNH. Grâce à l'appui de Thornton, il vient de connaître sa meilleure saison pour les buts (17), les passes (39) et les points (56). Il a aussi obtenu la confiance de ses entraîneurs.
« Il faut rendre hommage à son joueur-entraîneur, Joe Thornton, qui évolue avec lui, a indiqué le pilote de l'équipe Peter DeBoer. Il lui parle tout le temps sur la glace. [Labanc] est vraiment chanceux à son âge d'avoir un joueur comme ça pour lui montrer le bon chemin. Il y a cinq ou six mois, je me serais demandé s'il pouvait être un élément important à ce moment-ci de la saison, et je pense qu'il a répondu à mes interrogations grâce à l'aide de [Thornton]. »
Joueur-entraîneur?
« Comme Reggie Dunlop! », lance Thornton avec le sourire au visage.
Le vétéran n'est peut-être pas un personnage du film Slap Shot. Mais soyons francs, il est lui-même un personnage.
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C'est bien connu que Thornton a encore un plaisir fou à jouer dans la LNH. Un amour pour ce que représente être un joueur, mais aussi pour être avec ses coéquipiers.
Par exemple, le surnom du gardien Aaron Dell était Deller. Puis, il est devenu « Ler », puis « La » et finalement « Lou ». Thornton s'est donc mis à l'appeler « Bubba Lou » puis « Louis. »
Lorsque les Sharks étaient à Las Vegas pour affronter les Golden Knights en deuxième ronde des séries éliminatoires 2018, Thornton a remarqué deux paires de pantoufles Louis Vuitton dans un magasin, et il les a montrées à Dell.
« Qu'est-ce que tu en penses? Lesquelles préfères-tu? », lui a demandé Thornton, qui a demandé au gardien de les enfiler.
« Je ne sais pas… je pense que je préfère celles-ci », a répondu Dell.
Quand les Sharks sont revenus à San Jose, les pantoufles en question attendaient Dell à son casier.
« Je ne pensais pas vraiment qu'il allait me les acheter, raconte Dell en souriant. C'est tellement un personnage quand il le veut. »
Un autre exemple? Thornton a récemment pris l'habitude d'apporter un haut-parleur sur l'autobus de l'équipe et faire jouer de la musique après les victoires de l'équipe, et ce même si le directeur général Doug Wilson est assis pas très loin. Et il a sa manière de choisir les chansons.
« Celle-là, c'est pour mon bon ami Evander Kane, annonce-t-il à tout l'autobus en lançant une balade. Oui, Evander, c'est un romantique! »

Mais pour avoir du plaisir dans la LNH, encore faut-il s'y retrouver. Et pour rester dans la LNH, tu dois connaître du succès. Et pour connaître du succès au plus haut niveau, tu dois maximiser ton talent et tes habiletés.
« J'essaye d'aider les gars, raconte le joueur de centre. Je veux que ces gars connaissent des carrières de 15-20 ans parce que ça vaut la peine. Ça vaut la peine d'investir beaucoup de temps parce que c'est tellement génial de jouer au hockey, il n'y a rien de mieux. Je tente de les guider afin de leur permettre d'avoir de belles et longues carrières.
« C'est une chose de les encourager, mais parfois, ça prend aussi un coup de pied au derrière. J'adore être avec ces jeunes joueurs parce que ça me permet d'avoir du plaisir et me sentir jeune. Mais parfois, il faut prendre une pause, revenir aux choses sérieuses et travailler. »
Quand un joueur avec une telle expérience te dit de cesser de plaisanter, tu écoutes.
« Ça fait longtemps qu'il joue, il sait ce que ça prend, souligne Dell. Si tu fais les bonnes choses, il te le dira, mais le contraire aussi. Donc, s'il tombe sur ton cas, tu ne peux pas le prendre personnellement et tu dois plutôt réaliser qu'il le fait pour ton bien. Parfois, il peut être un peu agaçant, mais au final, il veut ce qui est le mieux pour toi et c'est ce qu'il tente de réaliser. »
Même pour les gardiens?
« Oui. Il ne me lâche jamais », dit Dell en rigolant.
Pour DeBoer, c'est là un exemple de leadership inné.
« Ça lui vient naturellement. C'est un vétéran. Je pense que ses coéquipiers sont importants pour lui. Il veut rendre les autres meilleurs, et je pense qu'il sait reconnaître un joueur qui a du potentiel et il veut l'aider à ce qu'il soit meilleur. Si tu demandes aux joueurs dans la chambre, c'est ce qu'il a fait pour plusieurs des gars, de Brent Burns à Kevin Labanc à… la liste est longue. »
Burns a été acquis par les Sharks du Wild du Minnesota dans une transaction en 2011. Thornton a aidé à ce que Burns soit en mesure de montrer sa vraie personnalité, ce qui lui a permis de devenir l'un des meilleurs défenseurs de la Ligue et gagnant du trophée Norris en 2017.
« Thornton est définitivement un des meilleurs joueurs de l'histoire, et pour toute personne qui s'est retrouvée à ses côtés, tu peux sentir son énergie, sa passion et qu'il a du plaisir à venir à l'aréna. C'est important et ça permet à tout le monde d'être soi-même et d'être différent », a indiqué Burns.
En Labanc, Thornton voit un joueur qui a une bonne vision du jeu, de la patience et un bon lancer. Il ne commence qu'à le démontrer. Labanc ajoute qu'il a dû travailler fort pour être plus constant, pour gagner les batailles et éviter les revirements. Thornton lui a d'ailleurs appris à travailler fort pour se créer de l'espace et pour récupérer la rondelle.
« Plus ça va aller et plus il va être confiant et fort, mentionne Thornton à propos de son coéquipier. Ça prend du temps. Mais il a beaucoup progressé cette année et je suis très fier de lui. Surtout à cet âge, ton corps se développe encore, tes habiletés, ta mentalité. Il le mérite. Il vient ici chaque jour et il travaille, y met le temps nécessaire et c'est payant pour lui. »
« Quand quelqu'un qui s'en va au Temple de la renommée te dit quelque chose, tu écoutes et tu le fais pour le reste de ta carrière », martèle Labanc.
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Avant les matchs no 1 et 2 au SAP Center, les Sharks ont annoncé, lors des cérémonies d'avant-match, que ces séries éliminatoires étaient pour « vous » (les partisans), pour « nous » (l'équipe), mais aussi pour « lui ». Ils parlaient de Thornton. C'est à ce moment que l'image du joueur à la barbe grisonnante est apparue à l'écran, les spectateurs bondissant de leur siège.
Thornton n'a pas dit qu'il s'agissait de ses derniers moments dans la Ligue. Depuis quelques années, il y va une saison à la fois. Il est sans contrat en vue de la saison prochaine et les blessures se font de plus en plus nombreuses. Qui sait s'il ne s'agit pas de la dernière fois où il tentera de remporter cette Coupe Stanley qui lui a toujours échappé.
« Je pense qu'il va jouer tant que son corps ne va pas le lâcher, estime Dell. Mais ça pourrait être sa dernière chance et tout le monde en est conscient. Tout le monde se dit qu'il faut aller jusqu'au bout pour lui, parce que c'est possiblement sa dernière chance. »
Entraîneur à temps plein une fois sa carrière terminée? « Non », répond Thornton. Pour lui, il est avant tout un joueur, peut-être un joueur-entraîneur, qui tente d'aller jusqu'au bout à nouveau, mais aussi de partager ses connaissances.
Et lorsque ce sera terminé, il pourra enfin prendre une journée de congé.