Willie-ORee

MILTON, Massachusetts - Des rangées d'enfants regardaient l'homme devant eux. Ils étaient tous jeunes, ils portaient tous leur équipement de hockey et plusieurs levaient la main pour poser une question. C'était des garçons et des filles de Boston et de Philadelphie, des blancs et des noirs. Willie O'Ree répondait à leurs questions, de la plus simple à la plus sérieuse, pour leur expliquer ce que c'était d'être lui, aujourd'hui et le 18 janvier 1958 lorsqu'il est devenu le premier joueur noir à évoluer dans la LNH.
Cela fait maintenant 46 ans qu'est mort Jackie Robinson, le premier joueur noir dans les ligues majeures de baseball. D'une certaine façon, il est devenu davantage un symbole qu'une véritable personne et c'est difficile pour les jeunes nés plus d'un quart de siècle après sa mort de s'identifier à lui.

Par contre, O'Ree est ici, au Ulin Memorial Rink de Milton, au Massachusetts, pour leur parler de son rôle en tant que directeur du développement de la jeunesse de la ligue, pour leur expliquer comme c'était d'être le premier visage noir dans une mer de visages blancs et pour les questionner sur les six équipes originales. C'est une leçon d'histoire vivante dans une ligue qui comprend désormais des joueurs étoiles noirs comme P.K. Subban, Seth Jones et Wayne Simmonds.
C'était il y a 60 ans cette semaine qu'O'Ree a reçu un appel des Bruins de Boston lui demandant de venir les rejoindre pour deux parties contre les Canadiens de Montréal. La première avait lieu le 18 janvier au Forum de Montréal, un endroit où O'Ree avait souvent joué auparavant.
Mais jamais dans ces circonstances.
« J'ai pris le train jusqu'à Montréal, j'ai rencontré l'équipe et l'entraîneur Milt Schmidt et on s'est assis », a raconté O'Ree, maintenant âgé de 82 ans. « Il m'a dit : "Willie, on t'a rappelé parce que tu peux ajouter un petit quelque chose à cette équipe. Ne te préoccupe pas du reste. L'organisation des Bruins est derrière toi à 100 pour cent. Alors, contente-toi de jouer à ta façon." »
Et c'est ce qu'il a fait. Il a joué au sport qu'il pratiquait, qu'il aimait et qui le passionnait depuis sa plus tendre enfance. Il était le cadet d'une famille de 13 enfants de Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Il a commencé à rêver à jouer professionnellement au hockey à l'âge de 14 ans, mais ce n'est que plus tard qu'il a commencé à penser à la LNH. Plusieurs entraîneurs lui ont dit qu'il avait tout le talent nécessaire pour se hisser aux plus hauts niveaux, mais ils l'ont bien prévenu qu'il n'y avait encore jamais eu de joueur noir dans la LNH. Pas encore.
« J'étais emballé », a indiqué O'Ree, qui a ajouté qu'il n'avait pas pensé à la barrière raciale avant de lire les journaux le lendemain. « J'avais joué contre les Canadiens de Montréal lors de matchs hors concours au Forum. J'avais aussi affronté les Canadiens Junior tout comme les Royaux de Montréal, l'autre équipe professionnelle de la ville, au Forum.
« Mais là, je revêtais l'uniforme des Bruins de Boston et je jouais un match de la Ligue nationale de hockey au Forum de Montréal et c'était extraordinaire. Ç'a été très excitant pour moi et je ne l'oublierai jamais. C'est comme si c'était hier. »

Willie O'Ree

O'Ree, qui sera honoré avant la rencontre entre les Bruins et les Canadiens au TD Garden de Boston mercredi (19 h 30 HE; NBCSN, SN, RDS, NHL.TV), est tombé en amour avec l'organisation des Bruins en 1957. Il s'était alors joint à l'équipe au camp d'entraînement. Il avait rencontré les joueurs et il avait appris à les connaître. Selon lui, ça lui a été très utile quand il les a rejoints au milieu de la saison régulière pour disputer ses deux matchs historiques.
Ils l'ont accueilli à bras ouverts. Ils ont veillé sur lui.
« C'était comme une famille, a précisé O'Ree. Sur la route, ils ont veillé sur moi parce que certains joueurs des équipes adverses ne m'aimaient pas à cause de la couleur de ma peau. J'ai sauté sur la glace pour jouer au hockey et représenter mon club du mieux que je le pouvais. »
Malgré tous les bons souvenirs d'O'Ree, il a tout de même vécu des incidents fâcheux. Il y a eu quelques altercations avec des adversaires, comme il s'y attendait. Son frère aîné Richard, qui lui a fait découvrir le hockey à l'âge de 5 ans, lui avait montré comment plaquer, comment absorber les mises en échec et comment se protéger. Il avait préparé O'Ree pour ce qui l'attendait.
Or, le plus important, ce fut le soutien de ses coéquipiers.
« Ils savaient quel genre de joueur j'étais, a-t-il expliqué. Ils savaient que j'étais un joueur agressif. Je cadrais bien dans leur style, alors j'ai pu jouer à ma manière sans penser au reste. Tout ce que je voulais, c'était de jouer au hockey et d'être le meilleur joueur possible pour l'équipe. »
Il a joué une deuxième partie à Boston, une défaite contre les Canadiens, avant d'être rétrogradé aux As de Québec. Il fut de retour avec les Bruins en 1960-61 et il a alors récolté 14 points (quatre buts, dix aides) en 43 matchs.
Ç'aurait pu être plus, même beaucoup plus, mais O'Ree ne voyait rien de son œil droit. Il avait perdu 97 pour cent de sa vision dans son œil droit quand il avait été atteint par une rondelle à l'âge de 19 ans. Sa rétine avait été déchirée. Il ne l'avait dit qu'à deux personnes : sa sœur et un ami. Aucun de ses coéquipiers, pas même avec les Bruins, ni ses parents, qui sont morts sans savoir que leur fils avait percé dans la LNH, ne savaient qu'il ne voyait rien de son œil droit.
La carrière professionnelle d'O'Ree s'est étendue sur 21 années, de Québec à Los Angeles en passant par New Haven, au Connecticut, et San Diego, mais il n'a jamais disputé de match aussi important que celui du 18 janvier 1958 quand il est devenu le Jackie Robinson de la LNH.
O'Ree a rencontré Robinson une première fois en 1949. Il avait alors 14 ans et il jouait autant au baseball qu'au hockey. Quand il a de nouveau rencontré Robinson en 1962, il se consacrait uniquement au hockey et les deux hommes ont discuté de leur réalisation commune. Ils avaient brisé la barrière de la couleur de la peau dans leurs sports, ils avaient changé les choses.
« Il était conscient qu'il représentait quelque chose de plus grand que lui », a révélé Glenn « Chico » Resch, l'analyste à la radio des Devils du New Jersey qui a joué avec O'Ree à New Haven dans la Ligue américaine de hockey en 1972-73. « Il se souciait de la ligue et il était conscient de qui il était. »
Et il est celui qui a pavé la voie pour les 86 joueurs noirs qui ont évolué dans la LNH depuis, y compris les 24 qui jouent dans la ligue cette saison, et les nombreux autres joueurs issus de groupes sous-représentés qui n'auraient jamais joué au hockey sans l'influence d'O'Ree. Grâce à son nouveau travail au sein du programme de la diversité de la LNH, travail qu'il adore, il accueille maintenant les vedettes de demain.

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« Ils sont là parce qu'ils ont le talent et les habiletés pour y être », a déclaré O'Ree à propos de Subban, Simmonds, Jones et d'autres anciens joueurs noirs comme Jarome Iginla, qui a connu une carrière de 19 ans dans la ligue. « Ils ne sont pas seulement là parce que ce sont des joueurs de couleur. Ils sont là parce qu'ils sont extrêmement talentueux. On le remarque juste à les voir jouer. J'aime les regarder jouer. J'aime vraiment ça. Chaque fois que je vois l'un d'eux sur la glace, ça me rappelle des souvenirs. »
Des souvenirs qui remontent au 18 janvier 1958, il y a 60 ans. Ce jour fut marquant à l'époque et son impact continue de se faire sentir aujourd'hui.