Jagr

Si c'est ici que ça s'arrête, si c'est vraiment la fin de la carrière de Jaromir Jagr dans la LNH, c'est un dénouement qui, même si ça semble bizarre, est tout à fait logique pour un joueur de sa trempe - un parcours difficile avec les Flames de Calgary à l'âge de 45 ans, suivi d'un retour au sein de l'équipe dont il est le propriétaire dans sa ville d'origine de Kladno, en République tchèque.
On se souviendra de Jagr pour bien d'autres choses que ses 1921 points, le deuxième total après les 2857 de Wayne Gretzky au cours des 100 ans d'histoire de la LNH ; ses 766 buts, bons pour le troisième rang derrière les 894 de Gretzky et les 801 de Gordie Howe ; ou ses cinq championnats des marqueurs, ou la saison qui lui a valu d'être proclamé joueur le plus utile à son équipe, ou ses deux conquêtes de la Coupe Stanley.
On se souviendra de lui pour toutes ces fois où il a demandé d'avoir la clé de l'aréna d'entraînement, pour ces soirées où il a patiné pendant que les autres dormaient, pour les fois où il s'est entraîné en gilet lesté après les matchs. On se souviendra de lui pour des paroles comme celles qu'il a prononcées le 23 décembre 2016, après qu'il eut enregistré son 1888e point et dépassé Mark Messier au deuxième rang des marqueurs grâce à une mention d'aide qu'il a amassée avec les Panthers de la Floride lors d'un revers de 3-1 face aux Bruins de Boston.

« J'adore le hockey, avait alors déclaré Jagr. Et je suis prêt à tout faire pour jouer le plus longtemps possible. »

Ce qui signifie que cette saison, il n'y avait rien de plus qu'il aurait pu faire dans la LNH. Il y a complété sa carrière après avoir pris part à 1733 matchs, le troisième total après ceux de Howe (1767) et Messier (1756).
« Il y a une raison pour laquelle il a été capable de joueur aussi longtemps qu'il l'a fait. C'est en raison de la passion qu'il avait pour le hockey », a noté l'entraîneur des Predators de Nashville Peter Laviolette, qui a dirigé Jagr avec les Flyers de Philadelphie en 2011-12. « Il prenait soin de lui. Il travaillait fort. Il s'entraînait avec ardeur. Il donnait tout quand il jouait et il a atteint un niveau de jeu que peu d'autres joueurs ont atteint. »
Jagr a connu ses meilleures années lors de son premier passage dans la LNH, quand il s'est aligné avec les Penguins de Pittsburgh, les Capitals de Washington et les Rangers de New York de 1990 à 2008. C'est à ce moment-là qu'il a remporté ses titres et ses trophées, et cumulé la plus grande part de ses statistiques.
Il a toutefois ajouté d'autres chapitres à sa légende à son deuxième passage dans la LNH, quand il est revenu après avoir disputé trois saisons dans la KHL et a porté les couleurs de six équipes en sept saisons - des Flyers jusqu'aux Stars de Dallas et Bruins, puis des Devils du New Jersey jusqu'aux Panthers et Flames. Il s'est alors transformé en vieux sage, en vagabond du hockey, en modèle, en mentor, et on s'est mis à l'aimer comme jamais on ne l'avait fait auparavant.
Parlez de lui à ses anciens coéquipiers et ils ne vous parleront pas de ses chiffres.
« Quand il est venu à Philadelphie, on sentait l'excitation qu'il y avait dans le vestiaire parce que Jags s'en venait jouer avec nous, a raconté le capitaine des Flyers Claude Giroux. Quand il a rejoint l'équipe, ses habitudes de travail et son niveau de dévouement étaient… »
Pause.
« Je n'avais jamais vu quelque chose comme ça avant. Ça m'a ouvert les yeux. Si tu veux jouer longtemps, tu dois y consacrer du temps. Il nous a beaucoup aidé. »
L'attaquant Jakub Voracek a fait ses débuts dans la LNH avec les Blue Jackets de Columbus en 2008-09, la saison où Jagr a quitté afin d'aller jouer dans la KHL. Il était déçu de ne pas évoluer dans la même ligue. Plus jeune, il avait grandi dans la ville d'origine de Jagr en idolâtrant ce dernier.
Puis, en 2011-12, non seulement ont-ils joué ensemble avec les Flyers, ils ont logé dans le même immeuble. Le logement de Jagr se trouvait au-dessus de celui de Voracek. Ils prenaient la même voiture pour aller s'entraîner. Parfois, Jagr persuadait Voracek de patiner le soir, même si Voracek, de 17 ans son cadet, préférait dormir.
« Pour lui, c'est tout le temps le hockey, parce qu'il a dévoué toute sa vie à ça, a indiqué Voracek. C'est pourquoi il a été le meilleur pendant aussi longtemps. … Quand tu penses au hockey, c'est un des noms qui te viennent en tête.
Le joueur de centre des Stars de Dallas Tyler Seguin, qui a joué avec Jagr avec les Bruins en 2012-13, a déclaré qu'il n'oubliera jamais le moment où Jagr lui a demandé, ainsi qu'au joueur de centre Patrice Bergeron et à l'ailier gauche Brad Marchand, s'ils voulaient patiner le soir. L'équipe participait alors au deuxième ou troisième tour des séries éliminatoires de la Coupe Stanley.
« Nous pensions que c'était une blague, mais ce n'était pas le cas, a indiqué Seguin. Il adorait à ce point le hockey. C'était formidable. … Le dévouement et l'amour qu'il avait pour le hockey, je n'ai jamais vu ça chez personne d'autre. Il était accro au désir de s'améliorer. »
Jagr a passé la dernière saison morte sans signer de contrat, même s'il avait amassé 46 points (16 buts, 30 passes) en 82 matchs avec les Panthers l'hiver dernier. On se disait qu'à force de voir le hockey se rajeunir et devenir plus rapide, il avait fait son temps.
Il s'avère qu'effectivement, il avait fait son temps. Les Flames ont conclu une entente avec lui le 2 octobre. Il n'a jamais trouvé ses repères, il a dû composer avec des blessures et il a récolté sept points (un but, six aides) en 22 rencontres. Mais ç'a valu la peine, au moins d'essayer, et pas juste pour lui.

« J'ai eu une mention d'aide sur son dernier but », a mentionné l'ailier gauche des Flames Johnny Gaudreau, qui l'a fait le 10 novembre dans une victoire de 6-3 contre les Red Wings de Detroit. « C'est quelque chose que je pourrai toujours dire. J'en suis vraiment, vraiment content. »
Gaudreau a 24 ans. Quand il est né, Jagr avait déjà disputé trois saisons dans la LNH.
« C'est un joueur formidable et il a connu une grande carrière, a souligné Gaudreau. Si c'est maintenant la fin, ç'a été plutôt spécial pour moi de passer cette courte période de temps avec lui. J'ai beaucoup discuté avec lui quand il était à l'aréna, et je lui souhaite la meilleure des chances. »
C'est ce que nous lui souhaitons tous.
Bill Price et Shawn Roarke ont participé à ce reportage.